Recep Tayyip Erdogan a proposé de nouvelles restrictions à l’usage d’Internet pouvant aller jusqu’à la fermeture de Facebook et de YouTube.
Reporters sans frontières est choquée par les déclarations du premier ministre Recep Tayyip Erdogan, qui a proposé le 7 mars 2014 de nouvelles restrictions à l’usage d’Internet pouvant aller jusqu’à la fermeture de Facebook et de YouTube.
“Le simple fait que le Premier ministre puisse envisager cette possibilité radicale ne peut que susciter l’inquiétude. La multiplication par le gouvernement des initiatives législatives liberticides, ces derniers temps, rend malheureusement ces propos crédibles. Alors qu’une loi renforçant la censure du Net vient d’être promulguée, Ankara avance un projet de loi étendant drastiquement les prérogatives des services de renseignements et les plaçant à l’abri de toute investigation. On voit mal comment le droit à l’information pourrait sortir indemne de ces dispositions dignes d’un État policier”, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est & Asie centrale de l’organisation.
Jusqu’où peut aller la censure d’Internet ?
Au cours d’un entretien accordé à la chaîne ATV dans la nuit du 6 au 7 mars, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a annoncé que le gouvernement présenterait de nouveaux amendements à la législation sur Internet après les élections municipales du 30 mars. Ces mesures viseraient essentiellement à lutter contre la publication en ligne d’écoutes téléphoniques, dont la multiplication ces derniers mois met le gouvernement en difficulté.
A une question posée par l’un des journalistes présents sur le plateau, Recep Tayyip Erdogan a répondu que la fermeture de YouTube et de Facebook faisait partie des mesures envisageables. “Nous ne laisserons pas sacrifier notre peuple à Facebook ou YouTube, a-t-il insisté, dénonçant “ces gens ou ces institutions qui incitent à (…) l’espionnage et à l’immoralité”. “Il ne peut exister une telle conception de liberté (…) S’il y a des pas à franchir, nous sommes déterminés à les franchir.”
Initiatives législatives liberticides
Ces déclarations interviennent moins d’un mois après la promulgation d’une loi renforçant fortement la censure d’Internet en Turquie. A la demande du Président de la République, Abdullah Gül, le parlement a voté le 26 février deux amendements censés atténuer la portée liberticide du texte original : le “blocage préventif” d’un site Internet devra désormais être validé dans les 48 heures par un juge, et la Haute instance des télécommunications (TIB) ne pourra plus accéder aux données personnelles des internautes sans décision de justice. Mais la portée de ces aménagements reste limitée, et l’engorgement actuel de la justice turque rend leur mise en œuvre difficile dans des délais aussi serrés.
Le gouvernement a récemment soumis au parlement un autre projet de loi inquiétant, qui vise à étendre les pouvoirs des services de renseignements turcs (MIT). Le texte, qui sera débattu après les élections municipales, prévoit d’autoriser la MIT à “collecter, enregistrer et analyser des informations (…) en exploitant toute méthode, outil et système de renseignement technique et humain”. Toute institution publique ou personne morale (y compris les médias) sera tenue de fournir à la MIT toutes les données requises, sur simple demande. Ceux qui s’y refusent risqueront de deux à quatre ans de prison. Au nom de la “lutte antiterroriste” et de la “sécurité nationale”, la réforme prévoit en outre la mise en place d’un vaste réseau de surveillance des communications.
Quiconque diffuse des documents émanant de la MIT s’exposera à des peines pouvant aller jusqu’à neuf ans de prison. La portée de cet interdit reste floue, et compte tenu de la pratique judiciaire en matière de lutte antiterroriste, les craintes sont grandes qu’il vienne encore renforcer les sanctions contre toute publication relative aux activités des services de renseignements. Les agents de la MIT, en revanche, bénéficieront d’une immunité presque totale. Leur directeur ne pourra être mis en accusation par la Cour de cassation qu’avec l’aval du Premier ministre.
La Turquie occupe la 154e place sur 179 dans le classement mondial 2014 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.