(RSF/JED/IFEX) – Ci-dessous, une déclaration commune de RSF et JED, datée du 22 juillet 2000 : 22 juillet 2000 : Journée nationale de la presse Applaudis ou tais-toi Il devient de plus en plus difficile d’exercer le métier de journaliste en République démocratique du Congo (Déclaration commune de Journaliste en danger (JED) et Reporters sans […]
(RSF/JED/IFEX) – Ci-dessous, une déclaration commune de RSF et JED, datée du 22 juillet 2000 :
22 juillet 2000 : Journée nationale de la presse
Applaudis ou tais-toi
Il devient de plus en plus difficile d’exercer le métier de journaliste en République démocratique du Congo
(Déclaration commune de Journaliste en danger (JED) et Reporters sans frontières (RSF))
Comme chaque année, la République démocratique du Congo (RDC) célèbre, le 22 juillet, la journée nationale de la presse. Cette date rappelle qu’en ce jour de 1971, fut promulguée la première loi réglementant l’exercice de la liberté de la presse en République démocratique du Congo. A cette occasion, les associations Journaliste en danger (JED) et Reporters sans frontières (RSF) tiennent à attirer l’attention de l’opinion sur un constat : il devient de plus en plus difficile d’exercer librement le métier de journaliste en République démocratique du Congo. Cette amère réalité est douloureusement vécue au quotidien par tous ceux qui ont choisi le métier d’informer dans ce vaste pays d’Afrique centrale. La répression dirigée contre les médias fait ainsi de la RDC un des pays francophones qui violent le plus la liberté de la presse en Afrique. Cette répression est souvent le fait de détenteurs du pouvoir politique, économique ou militaire qui ont recours à une justice parallèle pour faire taire une presse prompte à dénoncer, à haute voix, les maux qui rongent la société congolaise, mais parfois aussi une presse qui prend trop de liberté avec la vérité, bafouant les règles les plus élémentaires de la morale.
Le 3 mai 2000, Journée internationale de la liberté de la presse, toutes les organisations de défense de la liberté d’informer et d’être informé ont dressé des bilans, à travers le monde, de ce droit de l’homme consacré par la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. JED et RSF ont rendu publics des bilans démontrant que, depuis l’avènement du nouveau pouvoir à Kinshasa, plus de 100 journalistes ont été privés de leur liberté pour de plus ou moins longues périodes. Un record si l’on se réfère à d’autres périodes cruciales de l’histoire du pays.
Certes, les journalistes ne sont pas exempts de tout reproche. Il s’en trouve quelques-uns qui ignorent, dans l’exercice de leur métier, les exigences déontologiques et éthiques. Face à ce constat, des associations spécialisées ont initié plusieurs actions pour faire prendre conscience aux journalistes qu’il n’y a pas de liberté sans responsabilité. Mais est-ce une raison pour que ceux qui détiennent le pouvoir politique usent d’une justice sommaire pour faire taire la contradiction ?
Deux journalistes toujours détenus au CPRK
Parmi la centaine de journalistes qui ont été privés de liberté depuis 1997, trop peu ont été présentés à un juge. Dans la plupart des cas, ce sont des chefs de la police, des commandants de l’armée et autres responsables des services de sécurité tant civils que militaires qui envoient leurs hommes, souvent sans mandat écrit, arrêter des journalistes à leur rédaction ou à leur domicile. Des agents des services de renseignements sont parfois intervenus au domicile des journalistes en pleine nuit – contrairement à la loi congolaise -, les ont tirés de leur sommeil et les ont emmenés dans les innombrables cachots réguliers et irréguliers dont regorge la République démocratique du Congo.
Il est fréquent que des journalistes soient jugés et condamnés par des tribunaux militaires d’exception. En dépit des recommandations du Séminaire national sur l’administration de la justice et les droits de l’homme (organisé en août 1999 à Kinshasa, conjointement par le gouvernement congolais et le Bureau des Nations unies pour les droits de l’homme), la Cour d’ordre militaire (COM) continue à juger et à condamner des journalistes pour des délits de presse. En dépit de la promesse du chef de l’Etat congolais répondant aux desiderata de la Consultation nationale, deux journalistes ont été déférés devant la COM pour des affaires de presse. L’un a été condamné à trois ans de prison et l’autre attend de comparaître en audience publique. Depuis sa création, cette cour militaire d’exeption, dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle viole les principes fondamentaux de la procédure judiciaire (elle juge en premier et dernier ressort), a jugé au moins sept journalistes. Ceux qui ont « la chance » d’être entendus dans le cadre d’une procédure normale se disent souvent soumis à des parodies de procès, la cause étant entendue d’avance.
Depuis mai 2000, les cas de violations de la liberté de la presse et de harcèlements augmentent d’une manière inquiétante. Au chapitre des privations de liberté, la liste est longue. Le cas le plus connu est certainement celui de Freddy Loseke Lisumbu la Yayenga, éditeur du journal La Libre Afrique. Poursuivi pour « propagation de faux bruits » depuis le 31 décembre 1999, Freddy Loseke a été condamné, par la COM, à trois ans de prison pour « outrage à l’armée », l’infraction ayant été requalifiée lors du réquisitoire du ministère public. Le second journaliste emprisonné et poursuivi par la COM est Aimé Kakese Vinalu, éditeur de l’hebdomadaire Le Carrousel. Arrêté le 23 juin 2000, il a été déféré devant la COM pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » après avoir séjourné dans différents cachots où le journaliste affirme avoir été battu. Kakese est « coupable » d’avoir écrit trois articles dont un éditorial qui appelait l’opposition interne non armée à l’union face au pouvoir pour « sauver la nation en danger ». Cet éditorial qui traduit l’opinion du journaliste a pour objectif, selon la COM, « d’inciter l’opposition congolaise à se rebeller contre les institutions en place ».
Harcèlement et interpellations
Les services de sécurité n’hésitent pas à interpeller des journalistes pour des opinions émises dans des éditoriaux et des mots utilisés dans des articles. Le rédacteur en chef du quotidien Le Phare, Jean Kenge Mukengeshayi, a été enlevé, le jeudi 18 juin 2000, et gardé dans des locaux des services spéciaux de la Police, à Kinshasa, pendant 24 heures. Il a été interrogé au sujet d’un éditorial intitulé « Le pays à la merci des mafieux » faisant allusion à la vague d’arrestations des ministres et autres personnalités publiques. Modeste Mutinga, éditeur du quotidien Le Potentiel, a été également « invité » au mois de juin 2000 à s’expliquer sur un éditorial dans lequel il qualifie l’entourage du président Kabila de « mouvance présidentielle ». Quant à Polydor Muboyayi Mubanga, éditeur du quotidien Le Phare, il a été entendu, le 12 juillet, pendant près de quatre heures, au Conseil de sécurité d’Etat (CSE) au sujet d’un article intitulé « Kazadi Nyembwe : les masques commencent à tomber ». Il lui a été reproché d »inciter à la haine tribale ».
Les journalistes étrangers en séjour en RDC ne sont pas épargnés, même s’ils disposent de visas et autres accréditations délivrés par le gouvernement. Comme en témoigne l’interpellation des journalistes Caroline Pare (expulsée par la suite) et Arnold Zaitmann, de la British Broadcasting Corporation (BBC), en juin dernier. Ils sont arrivés à Kinshasa pour réaliser un documentaire sur la mort de Patrice Emery Lumumba, premier Premier ministre du Congo après l’indépendance. D’autres journalistes ont été pris en otages : ainsi le Comité de sécurité d’Etat (CSE) a gardé en détention Jacques Bololo, distributeur du journal satirique Pot-Pourri, en lieu et place des journalistes de cet hebdomadaire contraints à la clandestinité depuis bientôt une année.
Lors de l’arrestation de certains journalistes, des perquisitions, sans mandat, sont opérées à leurs rédactions : le matériel du journal Vision a ainsi été saisi par l’Agence nationale de renseignements (ANR), le 11 juillet. Les agents de l’ANR venaient d’arrêter Xavier Bonané ya Nganzi, ancien directeur de la rédaction de ce journal, passant outre sa qualité de député nommé par le président de la République. Après cinq jours de privation de liberté, l’ANR s’est rendu compte qu’il y avait méprise. Le Bonané arrêté n’était pas le Bonané recherché. Entre-temps, Vision n’a pas paru durant toute la semaine faute de matériel informatique saisi « par erreur » !
La presse audiovisuelle tant publique que privée est également l’objet d’une étroite surveillance. Patrick Musuyi Mungala et Jérôme Ngandu Muyembe, journalistes à la Radiotélévision nationale congolaise (RTNC), ont été respectivement révoqué ou suspendu pour une durée indéterminée. Leur faute : avoir diffusé sur la chaîne publique RTNC une interview du représentant de la Fédération congolaise des exploitants d’or et de diamant qui donnait sa version des faits sur l’affaire d’un diamant de 267 carats arraché à un particulier par le gouvernement et dont tous les médias ont parlé à travers le monde. L’audiovisuel privé est, de fait, toujours frappé d’interdit en ce qui concerne les émissions « à caractère politique », sauf lorsqu’il s’agit d’encenser le pouvoir.
Dans les territoires sous contrôle rebelle, la presse a quasiment cessé d’exister. Les journalistes payent également un lourd tribut à des responsables rebelles et leurs soutiens étrangers qui ne supportent pas la moindre critique. Ainsi, le directeur de publication du journal Les Coulisses, paraissant à Goma (Nord Kivu), Nicaise Kibel’Bel Oka, a passé trois jours dans un cachot (25-28 mai). Les rebelles du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), soutenus par le Rwanda, lui demandaient de dévoiler ses sources dans des affaires de détournement de fonds publics dénoncées par Les Coulisses. La radio communautaire Maendeleo est également l’objet de multiples pressions.
Ces actions de harcèlement placent la presse devant une terrible alternative : applaudir ou se taire. Des journalistes sont contraints d’abandonner la plume, d’autres se sont exilés à l’étranger, un bon nombre vivent en clandestinité. Ceux qui continuent à exercer ce métier avouent ne plus savoir jusqu’où ils peuvent aller dans l’écriture.
Des projets de lois sur la presse qui renforcent la répression
Là où la profession attend des mesures d’accompagnement et des garanties pour la liberté d’informer et d’être informé, ainsi que la mise sur pied de structures de régulation de la profession, le nouveau pouvoir parle « d’inadaptation au contexte socio-politique actuel, de graves lacunes de fond et de forme et de mauvaise utilisation de la liberté d’expression ». Des projets de lois sur la presse, sur le statut du journaliste, sur le Conseil national de la presse, sur les Messageries congolaises de la presse (MCP) et la Charte du journaliste congolais concoctés par le cabinet du ministre de l’Information et du Tourisme, Didier Mumengi, ont été présentés à la profession le 8 mai 2000. Selon le commentaire qu’en a fait le cabinet du ministre, ce texte a « l’avantage de supprimer toutes les peines d’emprisonnement de journalistes pour délits de presse sauf cas prévus par le Code pénal ». Pourtant, le Code pénal prévoit la peine capitale pour un journaliste qui aurait divulgué une information considérée comme secret défense ! Ce même code, dans sa formule actuelle héritée des années Mobutu, traite de plusieurs infractions qui sont aussi des délits de presse tels que l’injure, la diffamation, la calomnie, l’outrage aux autorités, l’atteinte à la vie privée des individus, etc. Le juge qui a l’habitude de recourir au Code pénal trouvera toujours des raisons valables pour emprisonner le journaliste. Rien n’aura donc changé. Bien plus, à certains égards, il nous semble que le projet de réforme initié par le gouvernement est en recul par rapport aux acquis de la loi 96-002 du 22 juin 1996. Il suffit, pour s’en rendre compte, de décortiquer les articles suivants :
… Concernant le principe de la déclaration préalable (articles 14 à 18), la simple déclaration ne suffit plus. Il faut avoir un récépissé. Le projet de réforme ne dit pas combien de temps il faudra pour l’obtenir. Cela laisse les mains libres au ministre de l’Information pour refuser une déclaration en n’accusant pas réception de la demande.
… Concernant l’accès aux sources d’information (article 32), le principe du libre accès énoncé dès le départ est noyé par les notions floues de « sécurité d’Etat » et « d’actions imminentes d’intérêt public ». Le principe de protection des sources (article 33) ne ressort pas clairement et la formulation présentée permet plusieurs interprétations, contrairement à la « Charte du journaliste » en annexe du même projet de loi. Comment faut-il en effet comprendre les articles 32 et 33 du projet qui stipulent respectivement : « L’accès aux sources d’information est libre. Il ne peut y être mis de restriction que pour des raisons touchant à la sécurité de l’Etat ou à la conduite d’actions imminentes d’intérêt public et dont le secret est essentiel à leur succès » ; et « Le journaliste est libre d’indiquer la source des informations qu’il diffuse dans le public. Il n’est tenu d’en divulguer plus précisément l’identité que dans les cas prévus par la loi ».
… Concernant la distribution des journaux (articles 46 à 50), le projet de loi est en contradiction avec le projet sur les Messageries congolaises de presse (MCP). En effet, le projet de réforme de la loi 96-002 dit que « la vente, le colportage et la distribution sur la voie publique des journaux ou écrits périodiques sont libres, sous réserve du respect de l’ordre public » (art. 46). En revanche, le projet de mise sur pied des MCP propose que celles-ci soit une « société commerciale mixte » réunissant l’Etat et les éditeurs de la presse. L’Etat, dans un premier temps, détiendrait la majorité des parts. Le même texte ajoute que l’Etat rétrocédera des parts du capital « au fur et à mesure aux éditeurs de manière à ne garder qu’une part minoritaire, mais une minorité de blocage en cas de nécessité ». Quelle garantie une messagerie contrôlée majoritairement par l’Etat congolais donnera-t-elle à tous les journaux, quelles que soient leurs lignes éditoriales, d’être distribués indistinctement ? A ce jour, des journaux qui n’épousent pas les thèses du gouvernement sont souvent interdits de quitter le pays. Ils sont régulièrement saisis à l’aéroport international de Kinshasa/N’Djili.
… Concernant l’interdiction de publication d’un journal par le tribunal de grande instance (art. 52), le nouveau texte n’est pas, contrairement à la loi du 22 juin 1996 (art. 44), explicite sur les motivations, l’initiative de l’action et la garantie contre des abus potentiels. Connaissant le contrôle de la justice par l’exécutif, il y a lieu de craindre des abus si les contours de cette interdiction ne sont pas expressément énoncés par la loi.
Recommandations
JED et RSF estiment que les détenteurs du pouvoir politique doivent, comme l’écrivait un journaliste congolais, comprendre que « l’information est l’oxygène de la démocratie. Si les gens ne savent pas ce qui se passe au sein de leur société, si les dirigeants agissent sous le voile du secret, ils ne sont pas en mesure de participer d’une manière positive à la vie de leur pays. Mais l’information n’est pas seulement nécessaire au public, elle est un élément constitutif majeur de tout bon gouvernement ».
En cette journée nationale de la presse, les deux organisations demandent :
Au gouvernement :
– de libérer Freddy Loseke Lisumbu la Yayenga et Aimé Kakese Vinalu, qui sont emprisonnés au Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa (CPRK, ex-Prison centrale de Makala) ;
– de mettre fin au harcèlement des journalistes par les services de sécurité ;
– de respecter la promesse du président Kabila de ne plus envoyer des civils, dont les journalistes, devant les juridictions militaires, et particulièrement la Cour d’ordre militaire (COM) ;
– d’organiser un véritable débat avec la profession sur les projets de lois sur la presse présentés par le ministère de l’Information.
Aux journalistes :
– de pratiquer leur métier avec responsabilité, en fuyant le mensonge et les discours de haine ;
– de s’organiser pour apporter les modifications nécessaires aux projets de lois sur la presse préparés par le gouvernement ;
– d’oeuvrer pour que les règles d’éthique et de déontologie soient rigoureusement respectées.