(JED/IFEX) – Ci-dessous, un rapport de JED, daté du 3 mai 2000: Liberté de la presse: LA GRANDE ILLUSION Plus de 100 journalistes ont été privés de leur liberté en trois ans Rendu public à Kinshasa, le 03 mai 2000 à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse Chaque année, à […]
(JED/IFEX) – Ci-dessous, un rapport de JED, daté du 3 mai 2000:
Liberté de la presse: LA GRANDE ILLUSION
Plus de 100 journalistes ont été privés de leur liberté en trois ans
Rendu public à Kinshasa, le 03 mai 2000 à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse
Chaque année, à la même période, et à la même date du 3 mai, la communauté internationale célèbre « la journée mondiale de la liberté de la presse ».
L’occasion est ainsi généralement donnée, aux instances nationales et internationales (Etats et organisations indépendantes de défense des droits de l’homme) de faire l’éloge de ce qu’il convient de qualifier, à raison, de « la mère des libertés », sans laquelle les autres ne seraient pas. Mais aussi d’attirer l’attention sur les différentes violations et déviations de cette liberté, aussi bien dans les pays à tradition démocratique que dans les pays dits, pudiquement, du Tiers-monde.
En République démocratique du Congo, cette première journée mondiale de la liberté de la presse du nouveau millénaire intervient, à quelques jours près, de la commémoration du 3ème anniversaire du nouveau régime, le 17 mai 2000. Elle intervient aussi au moment où la communauté internationale a décidé de dédier l’année 2000 à la culture de la paix. Cette paix qui manque sérieusement et dont le peuple congolais connaît le prix.
A l’avènement du nouveau régime, la presse nationale qui a été de tous les combats contre la dictature de Mobutu, était en droit d’attendre quelques titres de noblesse, si pas en guise de reconnaissance, mais au moins au nom de la liberté d’expression qui est innée à chaque groupe, à chaque société. Trois ans après, la presse est désillusionnée totalement. Elle paie un lourd tribu face à la tentation totalitaire des nouveaux maîtres et conquistadores de sorte que notre « république démocratique » ressemble, chaque jour qui passe, à une caricature, où les principes élémentaires et séculaires de droit sont galvaudés au nom de « la révolution ». La règle devient la privation de liberté, et l’exception, la liberté. La propriété privée, la présomption d’innocence, la liberté d’expression, le droit à la vie, la dignité humaine, etc. ressemblent à des vœux pieux. Cela est vrai à l’Est comme à l’Ouest.
A titre d’illustration, et pour ne prendre que la liberté de la presse, Journaliste en danger (JED) constate que depuis trois ans, plus de 100 journalistes ont été privés de leur liberté pour leurs écrits ou opinions. En ce jour où des discours laudateurs sur les vertus de la liberté de la presse sont prononcés, trois journalistes sont en prison pour avoir exercé leur métier. Ils commémorent cette journée, qui est la leur, dans la méditation entre quatre murs. L’un d’eux, Freddy Loseke Lisumbu, éditeur du très controversé trihebdomadaire « La Libre Afrique », comparaît devant une juridiction d’exception militaire pour officiellement « propagation de faux bruits », en dépit de la promesse du Chef de l’Etat de désormais conduire les civils devant leur juge naturel. Il a été arrêté la veille de l’an 2000, soit le 31 décembre 1999 et gardé pendant de longs mois dans un cachot d’un camps militaire où il a comparu, la première fois, à huit clos devant la Cour d’ordre militaire (COM). Les deux autres, Jean-Bruno Kadima et José Moukanda Ntumba, de l’hebdomadaire « Umoja » ne sont pas encore présentés à un juge depuis leur arrestation rocambolesque le 24 avril 2000 par les services d’intelligence.
De la chicote à l’emprisonnement en passant par l’autodafé, l’expropriation et la censure des émissions, les journalistes congolais et les médias ont tout connu comme brimades. Pour avoir participé à une conférence de presse donnée par Arthur Zahidi Ngoma, le même, avant son emprisonnement, sa lune de miel avec le mouvement rebelle RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie/aile Goma) et son retour à la Zorro à Kinshasa, une bonne douzaine de journalistes ont été interpellés et conduits à l’ex-Circo où chacun a été chicoté au prorata de son âge ou de son poids. Bonane Yangazi et Tuluma (Vision), Jonas-Eugène Kota (Le Potentiel), Julien Lubunga (BBC), Baudouin Kamanda (Africa N°1) et les autres ont gardé un souvenir inoubliable de la conférence de presse de Kinshasa/Lingwala. Pour avoir été plusieurs fois fouetté et maltraité lors de ses innombrables arrestations, Freddy Loseke Lisumbu porte, sur son dos, des stigmates indélébiles. Emmanuel Imbanda Lokenga, journaliste à la chaîne publique RTNC (Radiotélévision nationale congolaise), a été ligoté et fouetté avec un bâton métallique dans une résidence privée de Kinshasa/Ngaliema transformée en campement militaire, le mardi 18 avril 2000 de 17h30 à 20h30, par des éléments des Forces armées congolaises (FAC) qui lui reprochaient « d’être en contact avec des anciens dignitaires du régime déchu du maréchal Mobutu alors qu’il travaille pour un média public ». Le journaliste s’en est tiré avec une plaie à la tête.
Emmanuel Lokenga avait rendez-vous avec M. Kombo Tonga Booke, ancien président de l’ex- syndicat unique UNTZA (Union nationale des travailleurs du Zaïre), devenu Président de l’Association des consommateurs congolais, pour l’enregistrement d’une émission.
Gilbert-Albert Bonsange Yema, directeur de l’hebdomadaire « L’Alarme », a été arrêté le 7 février 1998 et condamné, le 21 mai 1998, à 12 mois de prison ferme pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » par la Cour de sûreté de l’Etat – qui venait d’être tirée de son hibernation – pour avoir publié un communiqué d’un parti d’opposition cher à Joseph Olenghankoy, le FONUS qui demandait « d’arrêter Kabila car demain il sera trop tard ».
Il a fallu, à Joseph Mbakulu Pambu Diana, directeur des programmes de la RTM (Radiotélévision Matadi), 14 mois de prison pour que la COM se rende compte, après deux mois de procès, que le journaliste était innocent. Il lui était reproché d’avoir collaboré avec les rebelles lors de la prise de la ville de Matadi en commentant leurs propos sur le plateau de la RTM.
Le Soft International, paraissant à Bruxelles, in illo tempore non suspecto, a été plus d’une fois saisi à l’aéroport international de Kinshasa/N’Djili et souvent brûlé parce qu’un titre annoncé à la Une ne plaisait pas. Le 20 février 1998, une édition avec en manchette une photo de l’opposant Udps Etienne Tshisekedi accompagnée du titre « Tshisekedi, l’éternel persécuté » avait été saisi et brûlé.
Les radios et télévisions privées sont de tout temps dans le champs de mire du gouvernement et des chefs rebelles. Pour cela, un cahier de charge non signé par les Chaînes privées et concocté par un des derniers ministres de l’information sous Mobutu, alors que la moitié du pays était déjà sous contrôle de la rébellion de Laurent-Désiré Kabila, a été tiré des tiroirs et opposé aux chaînes privées pour justifier l’interdiction pour celles-ci de retransmettre, en relais, les informations des chaînes étrangères telles que VOA (Voice of America), BBC, France 2 et autres. Bien plus tard, toutes les émissions à caractère politique sont interdites sur les chaînes privées alors que la Chaîne public, RTNC, n’accepte pas l’opposition. Des émissions ont été suspendues sur simple coup de téléphone de quelqu’un qui se réclame de la Présidence de la République ou de l’ANR (Agence nationale des renseignements).
La radio Amani, propriété de l’archidiocèse de Kisangani, dans la Province orientale a été fermée, le 1er avril 1998, sur ordre du gouvernement pour avoir retransmis les éditions françaises des journaux parlés de BBC (British Broadcasting Corporation). Les nouveaux maîtres de Kisangani n’ont pas fait mieux que le régime qu’ils prétendent combattre. A Goma, autre ville sous contrôle de la rébellion, la radio communautaire Maendeleo a été fermée pendant de longs mois. Et ses animateurs, dont Kizito Mushizi, ont été emprisonné ou contraints à la clandestinité. A ce jour, la radio a repris les émissions et ses animateurs ont la peur au ventre.
RTKM (Radiotélévision Kin Malebo), chaîne privée a été réquisitionnée au mois de mars 2000, sur arrêté du ministre de la Justice et confiée pour gestion à un service public relevant du Ministère de la justice, l’OBMA (Office des biens mal acquis). Les raisons officielles de cette décision n’ont jamais été données. Bien que rien n’a plus été fait dans le sens de concrétiser cette expropriation, après le refus de Jean-Pierre Kibambi Shintwa de prendre la gestion de la chaîne pour compte de l’OBMA, l’arrêté du ministre de la Justice n’a pas encore été abrogé. L’expropriation reste, juridiquement, valable.
Au mois d’avril 2000, Jean-René Mputu Biduaya, directeur des informations à la chaîne privée de radiotélévision RAGA et Lumbana Kapassa de RTKM ont été interpellés et interdits de quitter le pays pour avoir donné la parole sur leurs chaînes respectives à l’ambassadeur Kyungu wa Kumwanza, un partisan du Président Laurent-Désiré Kabila, qui a vivement mis en cause la compétence et la crédibilité du gouvernement.
Les cas ci-haut cités ne le sont qu’à titre illustratif. Notre monitoring renseigne que plus de 100 journalistes ont été privés de leur liberté depuis le 17 mai 1997. Certains sont allés en prison plusieurs fois. Parmi eux, on peut citer Freddy Loseke Lisumbu (La Libre Afrique), Modeste Mutinga Mutuishayi (Le Potentiel), André Ipakala Abeiye Mobiko (La Référence Plus), Gustave Kalenga Kabanda (La flamme du Congo). Du côté des services publics qui traquent et emprisonnent les journalistes, la palme d’or revient à l’Agence nationale des renseignements (ANR) dont certains agents sont carrément au service des intérêts privés de certains responsables publics. Le directeur général des impôts a recouru aux services d’un agent de l’ANR pour arrêter et emprisonner au secret Achille Mulamba (Veritas) qui l’accusait d’une vaste fraude et Mwamba wa ba Mulamba (Secrétaire général de JED). La Cour d’ordre militaire (COM) a instruit et/ou jugé 7 affaires des journalistes. Un journaliste a été condamné à 4 ans de prison pour « divulgation de secrets d’Etat en temps de guerre » (Thierry Kyalumba Kabonga ). Il a trouvé son salut dans l’exil. Un autre, Joseph Mbakulu Pambu Diambu (RTM-Matadi) a été acquitté après 14 mois de prison. Il était poursuivi pour propagation de faux bruits en rapport avec l’occupation de la ville de Matadi par des rebelles. Deux journalistes de Lubumbashi, Ngoy Kikungula et Bela Mako (journal Le Lushois) ont été condamné à 8 mois de prison pour des articles en rapport avec la guerre en RD Congo. Ils bénéfiéront d’une mesure de clémence après avoir purgé six mois de prison. Deux autres journalistes de Kinshasa, Modeste Mutinga (Le Potentiel) et André Ipakala (La référence Plus) ont été déférés devant la COM pour avoir été invités à la réunion de Durban (en Afrique du Sud) organisée par l’Ong sud-africaine ACCORD, à laquelle ont pris part des anciens dignitaires du régime de Mobutu et les rebelles. L’instruction a été arrêtée par une mesure de clémence du Chef de l’Etat. Le dernier journaliste a passé devant la COM est Freddy Loseke Lisumbu, éditeur de La Libre Afrique. Son affaire continue à passer devant la COM.
Le constat est aussi que, depuis l’avènement du nouveau régime, la corporation n’a pas encore connu de journée sans journaliste en prison. Et le prétexte de la guerre ne suffit plus pour justifier nombre de violations de la liberté de la presse, alors que la RD Congo a signé et ratifié les instruments juridiques internationaux qui protègent le journaliste contre l’arbitraire et l’abus du pouvoir. Les articles 19 de la déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont suffisamment clairs à ce sujet : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression. Ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération des frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
Nul besoin donc de rappeler qu’en tant qu’Etat de tradition moniste, avec primauté du droit international sur le droit interne, la République démocratique du Congo est tenue de veiller à une meilleure conformité de son ordre juridique interne avec ses engagements internationaux. Certes que, sur papier, la liberté de la presse existe en RD Congo, comme le proclame l’article 8 de la loi N° 96/002 du 22 juin 1996, fixant les modalités de l’exercice de la liberté de la presse : « Toute personne a droit à la liberté d’opinion et d’expression. Par liberté d’opinion et d’expression, il faut entendre le droit d’informer, d’être informé, d’avoir ses opinions, ses sentiments, et de les communiquer sans aucune entrave, quel que soit le support utilisé, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs ».
Mais cette liberté proclamée restera un leurre tant qu’elle n’est pas assortie de garanties d’ordre politique, professionnel, matériel et financier, judiciaire, qui rendent son exercice effectif par le citoyen. Nous pensons, en effet, avec le Pr. Mampuya Kanunk’a Tshiabo, « qu’il ne suffit pas que la loi affirme le principe de liberté, ni même qu’elle fixe un régime libéral de création d’organes de presse pour que tous les citoyens accèdent à l’exercice effectif de la liberté dans ce secteur. Même si à la place du régime de l’autorisation préalable qui était celui de la législation de dictature (Ordonnance-Loi N° 81-011 du 2 avril 1981) est adapté celui de la simple déclaration préalable (la loi actuelle) ou même de totale liberté sans aucune formalité préalable, il faudra encore disposer de moyens matériels et financiers pour créer une entreprise de presse et publier un journal ou un périodique. L’industrie de la presse, aussi bien écrite qu’audiovisuelle, fait aujourd’hui appel à une technologie tellement sophistiquée et tellement coûteuse que la liberté de presse, apparaît comme une liberté de riches ».
Pour tout dire donc, la grande illusion serait de penser que la liberté de la presse s’évalue à l’aune du nombre de tabloïds ou de radios et télévisions, même si ces organes de presse sont soumis à la loi de la censure directe ou indirecte et s’ ils ne peuvent véhiculer un pluralisme des idées et des opinions. Ne dit-on pas qu’un régime démocratique se reconnaît par la façon dont l’Etat organise son arsenal juridique de manière à permettre à la presse, qui constitue, en fait, un autre contrepoids à l’action gouvernante, de fonctionner sans accrocs.
En effet, sans liberté de la presse, que devient un pays où le personnel politique a montré ses limites ; sans liberté de la presse, que devient un pays où la justice n’a fait preuve d’aucune indépendance et où elle apparaît quotidiennement comme un appendice de l’exécutif. Comment expliquer autrement que des centaines de magistrats dits « véreux », à tort ou à raison, sont révoqués sans que le Conseil de la magistrature n’en soit informé ? Et tout cela, en l’absence d’un parlement et dans un silence, voulu de cimetière, imposé aux partis politiques d’opposition.
C’est ici le lieu de rappeler que les efforts en faveur de la consolidation de l’Etat de droit, du renforcement des droits de l’homme, de la bonne gouvernance et de la démocratie, resteront infructueux si le fonctionnement de notre appareil judiciaire reste en inadéquation avec L’esprit des lois. Notre appareil judiciaire – divers colloques organisés au pays l’ont démontré – ressemble à un tailleur qui coupe des modèles selon la volonté de chaque client. Il fait des minijupes à qui veut une minijupe, et des longues robes à qui les veut. Il envoie en prison qui l’on veut voir en prison ou faire taire.
Pour avoir tourné le dos, sciemment ou non, à tous ces principes qui fondent les Etats démocratiques et les nations civilisées, notre pays a la triste réputation, aujourd’hui, de porter son nom par ironie.