Jugés in abstentia, Ragıp Duran et Ayşe Düzkan ont été reconnus coupables de "propagande d'une organisation terroriste", en l'occurrence le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), par voie de publication.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 16 janvier 2018.
Les journalistes Ragıp Duran et Ayşe Düzkan ont été condamnés à un an et demi de prison ferme, le 16 janvier 2018, pour avoir pris part à une campagne de solidarité avec le journal Özgür Gündem. Reporters sans frontières (RSF), dont le représentant en Turquie est poursuivi dans la même affaire, dénonce une volonté d’intimider la société civile.
« Ils n’ont pas suffisamment manifesté de remords » : c’est ainsi que la 13e chambre de la cour d’assises d’Istanbul a justifié les peines de prison ferme prononcées ce 16 janvier contre les journalistes Ragıp Duran et Ayşe Düzkan. Leur crime ? Avoir pris part à une campagne de solidarité avec le quotidien pro-kurde Özgür Gündem : au nom du pluralisme, 56 personnalités s’étaient relayées, entre mai et août 2016, pour prendre symboliquement la direction de ce journal persécuté par la justice et finalement fermé manu militari.
Jugés in abstentia, Ragıp Duran et Ayşe Düzkan ont été reconnus coupables de « propagande d’une organisation terroriste », en l’occurrence le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), par voie de publication. Les éditorialistes Mehmet Ali Çelebi et Hüseyin Bektaş, auteurs des chroniques incriminées, ont eux aussi été condamnés à un an et demi de réclusion, tandis que le « vrai » rédacteur en chef d’Özgür Gündem, Hüseyin Aykol, écope de trois ans et neuf mois de prison en tant que « récidiviste ». Tous restent en liberté en attendant que le verdict soit confirmé en appel. Une décision attendue d’ici quelques mois.
« La campagne de solidarité avec Özgür Gündem avait pour but de défendre le pluralisme et la liberté de la presse, rappelle Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. Traiter ses participants comme des criminels ne vise qu’à intimider la société civile turque à un moment où la mobilisation est plus que jamais nécessaire. Nous appelons une fois de plus la justice à annuler toutes les condamnations et poursuites intentées dans cette affaire. »
Le représentant de RSF en Turquie, Erol Önderoğlu, est lui aussi poursuivi pour avoir pris part à cette campagne de solidarité. Il comparaît avec la présidente de la Fondation des droits humains (TIHV) Şebnem Korur Fincancı et l’écrivain Ahmet Nesin. Ces trois personnalités sont les seules à avoir été placées en détention provisoire pendant une dizaine de jours dans cette affaire, en juin 2016.
Ils risquent jusqu’à 14 ans et demi de prison pour « propagande du PKK », « apologie d’un crime » et « incitation au crime ». Leur procès reprendra le 18 avril à Istanbul, devant le même tribunal qui a condamné Ragıp Duran et Ayşe Düzkan.
Selon le site d’information Bianet, 20 journalistes, écrivains et intellectuels ont pour l’heure été condamnés dans le cadre de la campagne de solidarité avec Özgür Gündem. Pour la plupart d’entre eux, il s’agit de peines d’amendes et de prison avec sursis. Seuls Murat Çelikkan et İmam Canpolat avaient jusqu’à présent été condamnés à de la prison ferme.
La Turquie est classée 155e sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2017 par RSF. Déjà très préoccupante, la situation des médias est devenue critique sous l’état d’urgence proclamé à la suite de la tentative de putsch du 15 juillet 2016 : près de 150 médias ont été fermés, les procès de masse se succèdent et le pays détient le record mondial du nombre de journalistes professionnels emprisonnés.