(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un rapport de RSF révisant le lourd bilan du Président Kabila en matière de liberté d’expression depuis son accession au pouvoir le 17 mai 1997 en République démocratique du Congo: République démocratique du Congo Le lourd bilan de Laurent-Désiré Kabila: plus de quatre-vingts journalistes incarcérés Septembre 1999 Avec le soutien de la […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un rapport de RSF révisant le lourd bilan du
Président Kabila en matière de liberté d’expression depuis son accession au
pouvoir le 17 mai 1997 en République démocratique du Congo:
République démocratique du Congo
Le lourd bilan de Laurent-Désiré Kabila: plus de quatre-vingts journalistes
incarcérés
Septembre 1999
Avec le soutien de la Commission européenne
Depuis la prise du pouvoir par Laurent-Désiré Kabila, le 17 mai 1997, plus
de quatre-vingts journalistes ont été incarcérés pour de plus ou moins
longues périodes, souvent sans aucune explication, la plupart du temps sans
être jugés. Au moins trois d’entre eux sont toujours détenus. D’autres ont
été maltraités, fouettés. Des médias ont été saisis, suspendus, des journaux
ont été brûlés, leurs locaux mis à sac. Des journalistes étrangers ont été
expulsés, des émissions de radios internationales interdites. Le système
judiciaire est particulièrement répressif et la loi sur la presse est
inconnue de plusieurs magistrats.
On peut dire aujourd’hui que les atteintes à la liberté de la presse sont
encore plus nombreuses que lors des dernières années du règne du maréchal
Mobutu Sese Seko. La République démocratique du Congo de Laurent-Désiré
Kabila est l’un des régimes les plus répressifs de toute l’Afrique
subsaharienne. Les journalistes de Kinshasa connaissent tous les visages de
la censure. Les autorités ont « innové » en n’hésitant pas à recourir aux
sévices corporels et aux autodafés. Les relations entre la presse privée
congolaise et les autorités prennent la forme d’un affrontement permanent.
Laurent-Désiré Kabila semble rester insensible aux appels des organisations
internationales et nie être responsable de l’emprisonnement de journalistes.
Le 25 novembre 1998, à l’occasion de sa venue à Paris pour assister à la XXe
Conférence des chefs d’Etat d’Afrique et de France, il n’a pas hésité à
déclarer qu’il n’y avait pas « d’atteintes aux droits de l’homme en
République démocratique du Congo ». En qualifiant la presse occidentale de
« meute de flingueurs » dans son livre « Kabila et l’Occident », Dominique
Sakombi, conseiller en communication du chef de l’Etat, a exprimé toute
l’aversion du régime de Laurent-Désiré Kabila pour les journalistes
étrangers.
Certains titres proches du gouvernement ont dénoncé des journalistes et
demandé des sanctions sévères contre ceux qui exprimaient un point de vue
contraire à celui du pouvoir. A propos de l’arrestation de trois reporters
du trihebdomadaire Le Soft, un quotidien, Demain le Congo, écrivait, au mois
de novembre 1998, que « les priver de leur liberté [était] la sanction
minimale ». De son côté, Le Messager africain estimait, à propos de la même
affaire, « qu’ailleurs, on fusille les traîtres ».
Le harcèlement, dont les médias congolais sont victimes aujourd’hui, n’a
rien de surprenant si l’on se rappelle les nombreuses atteintes à la liberté
de la presse qui avaient marqué les premiers pas du nouveau régime. Le 17
mai 1997, le jour même où Laurent-Désiré Kabila s’autoproclamait président
de la République démocratique du Congo, les locaux du groupe de presse Le
Soft, appartenant à Kin Kiey Mulumba, le dernier ministre de l’Information
du maréchal Mobutu, ainsi que sa résidence, situés à Kinshasa/Ngaliema,
faisaient l’objet d’un pillage en règle par les soldats de l’Alliance des
forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL). Au cours des jours
suivants, la radio-télévision publique (OZRT) était la cible de véritables
purges, tandis que l’ancienne agence de presse nationale (AZAP) était
purement et simplement fermée. Le 26 mai, peu après la formation du nouveau
gouvernement, le ministre de l’Information de l’époque, Raphaël Ghenda,
annonçait son intention d’interdire l’usage de la publicité sur les chaînes
de radio et de télévision privées.
Malgré la répression, la presse – pour la seule ville de Kinshasa, on compte
une quinzaine de titres paraissant régulièrement et autant plus
sporadiquement, huit chaînes de télévision et près d’une dizaine de radios,
dont cinq diffusent de l’information – continue de critiquer certaines
autorités avec une relative liberté de ton, parfois même de façon
outrancière. En offrant un espace d’expression politique, certains titres
servent de tribune aux partis d’opposition, suspendus peu de temps après
l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila (cette interdiction a été
levée le 29 janvier 1999, mais les condition posées rendent pratiquement
impossible la création effective de partis). Aussi, le fait de défendre un
journaliste de la presse privée est souvent interprété comme une prise de
position contre le pouvoir.
Plus de quatre-vingts journalistes arrêtés en vingt-huit mois
Dans la plupart des cas, les journalistes sont poursuivis par les autorités
pour des écrits jugés diffamatoires, mais ils peuvent l’être également à
l’instigation de personnes proches du pouvoir ou bénéficiant de solides
relations au sein des services de sécurité. Les journalistes justifient
souvent la publication d’articles au contenu exagéré, partiellement ou
totalement faux, par la difficulté d’accès à l’information officielle. Les
actions intentées en justice relèvent officiellement de la loi sur la presse
du 22 juin 1996 (dont pas moins de seize articles sont consacrés aux
sanctions qui peuvent frapper la presse). Mais le Journal officiel ne
paraissant plus depuis cinq ans – à l’exception du numéro spécial d’avril
1999 financé par le bureau des Nations unies pour les droits de l’homme et
consacré aux instruments juridiques internationaux auxquels la République
démocratique du Congo est partie -, cette loi n’a jamais été publiée et
reste largement méconnue des magistrats et des journalistes. Elle est donc
rarement appliquée, les journalistes étant le plus souvent poursuivis au nom
d’un Code pénal encore plus répressif.
La présomption d’innocence n’existe plus, tout comme l’individualisation des
infractions, les forces de sécurité n’hésitant pas à arrêter un collègue ou
un parent d’un journaliste dont elles n’arrivent pas à se saisir. Alors
qu’aucune interpellation ne devrait échapper au parquet, on ne compte plus
les journalistes détenus en toute illégalité. Le Comité de sécurité d’Etat
(CSE), le Groupement spécial de sécurité présidentielle (GSSP), la Détection
militaire des activités anti-patrie (DEMIAP), l’Agence nationale de
renseignements (ANR), la Police d’intervention rapide (PIR), la 50e brigade
des Forces armées congolaises basée au camp Kokolo: autant de structures qui
arrêtent, détiennent, maltraitent des journalistes.
Au 15 septembre 1999, au moins trois journalistes étaient détenus en raison
de leur activité professionnelle (un autre, collaborateur de L’Alarme, est
emprisonné, depuis le 12 mai 1999, pour ses activités politiques au sein
d’un parti de l’opposition). Joseph Mbakulu Pambu, journaliste de la chaîne
de télévision privée de Matadi (sud-ouest du pays) et président de la
section locale de l’Union de la presse du Congo, a été arrêté le 24 octobre
1998 et détenu pendant trente-quatre jours dans les cachots de l’ANR. Il est
aujourd’hui incarcéré au Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa.
On lui reproche de ne pas avoir cessé de travailler alors que les « rebelles »
avaient pris le contrôle de la ville. Déféré devant la Cour d’ordre
militaire de Kinshasa – une juridiction créée initialement pour les seuls
militaires et dont les décisions ne sont susceptibles d’aucun recours -, il
devrait être jugé pour « atteinte à la sécurité de l’Etat ». Deux autres
journalistes – Ngoy Kikungula et Bela Mako, respectivement directeur de
publication et rédacteur en chef de l’hebdomadaire Le Lushois -, sont
détenus à Lubumbashi (sud-est du pays). Ils ont été arrêtés le 23 mars 1999,
et condamnés, le 18 juin, par la Cour d’ordre militaire à huit mois de
prison pour un article mettant en cause un conseiller du gouverneur de la
région.
Les arrestations de journalistes ont commencé dans les jours qui ont suivi
la prise du pouvoir par Laurent-Désiré Kabila et ses alliés. Dès le 28 mai
1997, les membres de trois équipes de radios et de télévisions de Kinshasa
et plusieurs photographes étrangers sont arrêtés au cours d’une
manifestation de protestation contre « la nouvelle dictature ». Les
journalistes sont relâchés une heure plus tard après avoir été fouillés.
Leurs cassettes sont confisquées et leurs films détruits. Des dizaines
d’autres arrestations suivront. Ainsi, le 8 septembre 1997, Polydor Muboyayi
Mubanga, directeur du quotidien kinois proche de l’opposition Le Phare, est
arrêté à son domicile par six hommes armés. Le journaliste est conduit dans
les cachots du tribunal de Gombé à Kinshasa, avant d’être transféré à la
prison centrale de Makala. Le journal avait publié, trois jours auparavant,
un article intitulé « Kabila prépare sa DSP », qui accusait le chef d’Etat de
vouloir créer une nouvelle garde d’élite présidentielle, à l’instar du
maréchal Mobutu. Cet article avait pour auteur Tshivis Tshivuadi qui avait
signé sous son pseudonyme de Kaniema. Le journaliste a été contraint à un
exil intérieur de six mois. Polydor Muboyayi Mubanga, quant à lui, est
inculpé, le 17 septembre, de « propagation de fausses nouvelles et incitation
à la haine ethnique ». Cette arrestation a déclenché un vaste mouvement
d’indignation dans le pays. L’Union des journalistes et agents de la
communication qualifie de « dégradant » le traitement réservé à un homme de
presse par « des soldats qui ont poussé leur brutalité jusqu’à le frapper et
le blesser ». L’Association congolaise de défense des droits de l’homme exige
la libération immédiate du journaliste et demande aux autorités de « se
départir des méthodes d’intimidation ». Le 18 septembre, une « journée sans
journaux », est décrétée par le syndicat des patrons de presse « Médias
libre – Médias pour tous ». Le 18 novembre, Polydor Muboyayi Mubanga est
finalement libéré, sur ordre du chef de l’Etat.
Autre exemple, le 18 novembre 1997, Albert Bonsange Yema, l’éditeur des
journaux Mambega, L’Essor Africain et L’Alarme, est arrêté à Kisangani
(nord-est du pays). Il est accusé par les autorités d’être un « agent » au
service de la mission des Nations unies chargée d’enquêter sur les
accusations de massacres dans l’ex-Zaïre. Il sera libéré quelques jours plus
tard. Mais, dès le 7 février 1998, Albert Bonsange Yema est à nouveau arrêté
à son domicile en même temps que ses deux épouses et six de ses enfants,
dont trois travaillent dans son groupe de presse, qui recouvreront la
liberté après plusieurs jours passés dans les cachots des forces de police,
sans avoir jamais été inculpés. Le directeur de L’Alarme est transféré au
Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa. Il lui est reproché la
publication, à la « Une » de son journal, d’un communiqué d’un parti
d’opposition, sous le titre: « Maintenant ou jamais, arrêtons la dictature de
Kabila ». Inculpé d’atteinte à la sûreté de l’Etat, Albert Bonsange Yema est
condamné, le 21 mai, par la Cour de sûreté de l’Etat à un an de prison.
Transféré, huit mois après, à l’hôpital général de Kinshasa – il souffre de
diabète -, il est libéré le 3 février 1999. A nouveau menacé d’être arrêté
quelques jours plus tard, il se cache durant un mois avant de se réfugier à
l’étranger.
Le 25 mai 1998, Kidimbu Mpese et Awazi Kharomon, respectivement directeur de
la production et rédacteur du trihebdomadaire privé Le Soft, sont arrêtés
par des agents de la sécurité militaire. Les deux journalistes sont détenus
dans les locaux de la Détection militaire des activités anti-patrie pour
« publication d’articles qui sapent les actions du gouvernement ». Ils sont
interrogés sur un article de l’édition du 14 avril du Soft International,
accusant la Banque centrale de « mauvaise gestion ». Les responsables du Soft
International rappellent que les rédacteurs de Kinshasa ne sont en rien
responsables du contenu de cette publication éditée à Bruxelles. Les deux
journalistes sont libérés le 4 juin.
Le 30 octobre 1998, Jean-José Monzango, journaliste de L’Alarme et doyen de
la presse congolaise, est arrêté et conduit au Centre pénitentiaire et de
rééducation de Kinshasa. Il lui est reproché d’avoir publié un article
faisant état de la fuite en Belgique du ministre des Affaires intérieures au
lendemain du déclenchement, le 2 août 1998, de la guerre qui oppose
actuellement le gouvernement de Laurent-Désiré Kabila aux forces du
Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). Le 29 décembre, il est
libéré sous caution. Le 19 décembre 1998, c’est au tour d’Yvette Idi
Lupantshia, journaliste de la Radio-télévision nationale congolaise (RTNC),
d’être arrêtée par des policiers, en même temps qu’un monteur. Ils sont
interrogés et incarcérés dans les locaux des services spéciaux de la police
de Kinshasa. On reproche à Yvette Idi Lupantshia d’avoir transmis à
l’ambassade des Etats-Unis les bandes vidéo d’une conférence de presse
publique du président Laurent-Désiré Kabila. Avant d’être libérée, trois
jours plus tard, la journaliste sera détenue dans une cellule infestée de
rats. Son geôlier obligera des prisonniers des cellules voisines à se
dévêtir devant elle en exigeant qu’elle « ouvre bien les yeux pour le
raconter aux Américains qui l’envoient ».
Le mardi 12 janvier 1999, Thierry Kyalumba, directeur de publication du
bihebdomadaire Vision, est arrêté à Kinshasa. Déféré devant la Cour d’ordre
militaire, il est accusé de « divulgation de secret d’Etat ». Dans un article
signé d’un pseudonyme, Thierry Kyalumba affirmait que l’Ouganda avait
« acheté d’importantes quantités de missiles destinés à des groupes de
rebelles présents dans les provinces du Kasaï » (est de Kinshasa). Détenu
successivement dans les cachots du Comité de sécurité d’Etat, puis au camp
militaire Kokolo, le journaliste affirme avoir été « torturé à deux reprises »
: « J’ai été aspergé d’eau froide, puis roué de coups à l’aide d’une
« cordelette », un ceinturon de militaire avec une grosse boucle métallique ».
Le 30 mars 1999, Thierry Kyalumba est condamné à quatre ans de prison par la
Cour d’ordre militaire. Transféré à l’hôpital pour un « abcès
appendiculaire », il s’évade, le 28 mai, et se réfugie à l’étranger. Le
directeur de publication de Vision avait déjà été arrêté en 1998 pour un
article mettant en cause le ministre des Finances de l’époque. Il avait été
détenu durant un mois avant d’être remis en liberté provisoire. Le procureur
général de la République avait finalement classé le dossier sans suite.
Pour la première fois, en juillet 1999, un tribunal acquitte un journaliste
poursuivi pour « diffamation ». Jean-Fidèle Kaluila Mamba, médecin de son état
et rédacteur en chef de l’hebdomadaire La Manchette, était détenu au Centre
pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa depuis le 20 mai 1999 pour avoir
écrit deux articles intitulés : « Kabila aux abois » et « Kabila en colère
contre Kakudji [le ministre de l’Intérieur] ». Entendu le 16 juillet par le
tribunal de Paix de Kinshasa Kasa Vubu, il est acquitté et libéré le 30 du
même mois.
D’autres arrestations sont encore plus arbitraires que la cascade des
poursuites pour « diffamation ». Ainsi, le 8 mai 1999, Stéphane Kitutu
O’Léontwa, président de l’Union de la presse du Congo et ancien président
délégué général de la Radio-télévision nationale congolaise (RTNC), est
interpellé et placé dans un cachot de la police judiciaire à Kinshasa –
Gombé. En fait, Stéphane Kitutu O’Leontwa est gardé en lieu et place d’un
rédacteur du journal satirique Pot-Pourri que les services de sécurité
recherchent en vain pour trois articles jugés « injurieux » par les autorités.
La seule adresse qui figure dans l’ours du Pot-Pourri est celle de l’Union
de la presse du Congo, alors que celle-ci ne lui en a nullement donné
l’autorisation. Inquiet des nombreuses poursuites engagées par le
gouvernement, des titres répugnent à rendre publique leur véritable adresse,
préférant se cacher derrière un organisme professionnel. Stéphane Kitutu
O’Léontwa, qui n’a jamais écrit une seule ligne dans Pot-Pourri, avait
personnellement et publiquement condamné cette pratique. Il n’en restera pas
moins détenu durant quatre jours.
Le 9 août 1999, deux quotidiens privés – Le Phare et Le Potentiel -publient
des reportages sur une audience de la Cour d’ordre militaire au cours de
laquelle l’accusée avait fait état de complots au sein des services de
sécurité. A la suite de ces parutions, des agents du Comité de sécurité
d’Etat se rendent dans ces rédactions pour interpeller les auteurs des
reportages. Faute de les trouver, ils emmènent Modeste Mutinga, le directeur
de publication du Potentiel. Le journaliste sera relâché dans la soirée.
Plus surréaliste encore, des journalistes ont été interpellés pour avoir,
par exemple, expliqué qu’on était resté sans nouvelles durant plusieurs
semaines du ministre de l’Intérieur, au lendemain du déclenchement de la
« deuxième guerre », en août 1998, et d’autres également poursuivis pour
avoirS démenti cette information. Quant au journaliste du quotidien privé Le
Potentiel, Collin Beya, il est interpellé, le 28 juin 1999, par des agents
du Conseil de sécurité d’Etat pour avoir eu « l’intention de publier » une
information concernant un différend entre le directeur de cabinet du chef de
l’Etat et le ministre des Finances. Une information qui était d’ailleurs
parue dans plusieurs journaux de Kinshasa. Collin Beya sera libéré le
lendemain.
De plus en plus, et sans disculper le gouvernement, des personnes qui
détiennent une parcelle de pouvoir (politique, administratif ou financier)
ou des membres de leur famille et amis se rendent justice lorsque le
discours de la presse ne leur convient pas. Ils utilisent des policiers, des
militaires, des agents de service de sécurité et parfois même des magistrats
pour réprimer des journalistes. Ainsi, Achille Kadima Mulamba, éditeur du
journal Veritas, est enlevé par des hommes proches des responsables du
Trésor public, le 24 août 1999. Le journaliste venait de publier des
informations selon lesquelles le directeur général des Impôts serait
impliqué dans une « fraude fiscale massive ». Achille Kadima est conduit, le
soir même, au cachot du sous-commissariat de la police de Kinshasa/Kintambo.
Pendant quarante-huit heures, avant d’être libéré, le journaliste n’a pas eu
le droit d’entrer en contact avec sa famille ou ses collaborateurs.
La chasse aux journalistes étrangers
Dès le début de l’insurrection contre le régime du maréchal Mobutu, à l’est
du pays, en 1996, l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila s’en prend aux
correspondants de la presse étrangère. A Goma, Raphaël Ghenda, commissaire à
l’information, ordonne la confiscation des valises satellites des
journalistes étrangers. Pour pouvoir pénétrer dans les régions contrôlées
par l’Alliance, ces derniers doivent s’acquitter de différentes « taxes ».
Leurs passeports sont retenus par l’Agence nationale de renseignement (ANR),
dirigée par le commissaire général Paul Kabongo (actuellement ambassadeur en
Algérie), au poste frontière de Goma. Le permis de séjour des journalistes
doit être renouvelé tous les huit jours, ce qui rend difficile l’accès au
front sans enfreindre les consignes imposées par l’ANR. Aucun journaliste
n’est autorisé à accompagner les troupes de l’Alliance en opération, tandis
que tout contact suivi avec les chauffeurs, les guides ou les interprètes
fait l’objet d’une étroite surveillance des services de Paul Kabongo. Quant
à la presse locale, il ne reste plus dans la zone rebelle que deux stations
: la radio catholique Amani, qui émet depuis Kisangani, et la Voix du Peuple
(station locale de la radio nationale), placée sous le contrôle du
commissaire à l’information, Raphaël Ghenda, également responsable des
séminaires de rééducation des fonctionnaires.
Depuis, une quinzaine de journalistes étrangers ont été expulsés,
interpellés, voire incarcérés en République démocratique du Congo. Ainsi, le
23 mai 1997, les correspondants de Radio France Internationale, du quotidien
français Le Figaro et de l’Agence France-Presse sont jugés indésirables à
Goma. « Je ne veux plus de journalistes ici », explique l’un des responsables
de l’ANR, avant d’exiger qu’ils quittent la ville le soir même. Un agent de
l’ANR les raccompagnera jusqu’au poste frontière avec le Rwanda.
Le 3 décembre 1997, Mossi Mwasi, correspondant sud-africain de la BBC et de
la Deutsche Welle, est arrêté par la Police d’intervention rapide et placé
en détention au Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa, accusé
d’espionnage et d’usage de faux papiers. Mossi Mwasi est libéré le 11 avril
1998, sur ordre du ministre de la Justice, sans jamais avoir été jugé. Le
lendemain, Peter Böhm, correspondant du quotidien berlinois Die Tages
Zeitung, est à son tour arrêté alors qu’il fait des photographies dans l’est
du pays, près de la frontière avec le Rwanda et l’Ouganda. Peter Böhm est
accusé » d’espionnage » et maintenu en détention dans les locaux des
services de sécurité à Kinshasa. Il sera libéré le 16 mai et expulsé.
La censure de la presse étrangère prend d’autres formes. Le 30 novembre
1997, Raphaël Ghenda, alors ministre de l’Information, interdit pour une
durée indéterminée la diffusion des émissions des radios internationales
BBC, Radio France Internationale et Voice of America. Leurs programmes
étaient rediffusés par des radios locales de Kinshasa en modulation de
fréquence. Officiellement, cette mesure est prise pour éviter que ces radios
locales ne participent « à la désinformation et à l’intoxication diffusées
par les médias internationaux ». Le 4 décembre, Raphaël Ghenda lève cette
interdiction. Le 22 juillet 1999, le nouveau ministre de l’Information,
Didier Mumengi, adresse une lettre aux radios et télévisions privées qui
retransmettent des émissions étrangères, leur demandant de cesser
immédiatement de le faire. Cette mesure vise Elikya, une radio catholique
qui rediffuse des émissions de Radio Vatican, Raga FM qui reprend des
programmes de Voice of America, la BBC et la Deutsche Welle,
Radio-Télévision Kin Malebo qui relaie les journaux de RFI, et enfin Télé
Kin Malebo, qui retransmet les journaux télévisés de Canal France
International. Le ministre de l’Information justifie cette décision en
expliquant que le cahier des charges signé entre son ministère et ces
différents médias ne permet pas la diffusion de ces émissions. Si une telle
disposition est bien contenue dans le cahier des charges, les radios et la
télévision incriminées affirment que celui-ci n’a jamais été signé par eux,
tel que l’exige le point 7 de ce cahier des charges. Les médias privés
n’accordent donc aucune valeur juridique à ce document. Et d’ajouter que
cette interdiction est en complète contradiction avec les articles 50 et 51
de la loi sur la presse de juin 1996 qui garantissent « le droit de produire,
transmettre, recevoir tous les produits de la communication audiovisuelle,
sous réserve du respect de l’ordre public, des droits d’autrui et des bonnes
m¦urs.
Des journalistes fouettés, des journaux brûlés, des locaux pillés
Les autorités de Kinshasa n’ont pas seulement emprisonné des journalistes
par dizaines. Elles se sont distinguées en remettant à l’ordre du jour les
sévices corporels. Ainsi, le 25 novembre 1997, dix journalistes kinois sont
fouettés par des policiers. Les reporters, dont un correspondant de la radio
Africa N°1, un photographe de l’agence Associated Press et le correspondant
de la radio Deutsche Welle, sont appréhendés alors qu’ils viennent
d’assister à une conférence de presse donnée par le leader d’un mouvement
d’opposition. Conduits au poste de police, ils reçoivent chacun des coups de
fouet « au prorata de leur âge et de leur poids ». Ils sont relâchés, leur
matériel est confisqué.
Le 26 décembre 1998, Freddy Loseke Lisumbu, directeur de publication du
trihebdomadaire La Libre Afrique, reçoit cent cinquante coups de fouet par
des agents du Groupement spécial de sécurité présidentielle. Le journaliste
avait été arrêté dans la matinée, alors qu’il distribuait des exemplaires de
son journal dans Kinshasa. Interrogé sur des articles accusant le directeur
de cabinet de Laurent-Désiré Kabila de détourner des fonds publics, Freddy
Loseke est finalement libéré en fin de journée, non sans avoir été menacé
d’être à nouveau arrêté. Le 26 juillet 1999, c’est au tour de Jean-Marie
Kashila et Bienvenu Tshiela, respectivement journalistes à l’Agence
congolaise de presse et à Kasaï Horizon radio-télévision, d’être fouettés
par des policiers de la ville de Mbuji-Mayi, dans le Kasaï oriental. Ces
derniers seraient intervenus sur l’ordre de Kalala Kaniki, vice-gouverneur
de cette province. Celui-ci aurait reproché aux journalistes de l’avoir
critiqué dans différents reportages. Kalala Kaniki avait déjà fait fouetter,
l’année précédente, un autre journaliste, Robert Ndaye Tshisense.
Dans un autre domaine, mais tout aussi arbitraire, le 26 janvier 1999,
Michel Museme Diawe est expulsé de son domicile. Les militaires expliquent à
ce journaliste de la Radio-télévision nationale congolaise que son
appartement a été attribué à la présidence de la République. Après avoir
vérifié auprès des services compétents, il apparaît que le logement du
journaliste ne figure sur aucune des listes de ceux réservés à l’entourage
du chef de l’Etat. Michel Museme Diawe a déjà été arrêté et suspendu à
plusieurs reprises pour ses prises de position à l’antenne. Au mois de
novembre 1998, il avait été incarcéré durant huit jours au camp militaire
Kokolo, à Kinshasa.
Non content de s’en prendre à l’intégrité physique des journalistes, les
autorités n’hésitent pas à recourir à une méthode que l’on croyait d’un
autre âge : l’autodafé. Le 20 février 1998, des exemplaires du journal privé
Le Soft International, imprimé en Belgique, sont saisis à l’aéroport de
Kinshasa/N’Djili. Les autorités expliquent qu’elles ont brûlé les journaux
qui contenaient en première page un article intitulé : « Tshisekedi,
l’éternel persécuté », illustré d’une photo de 1997 montrant le leader de
l’opposition encadré par la foule. Le 23 mars, Le Soft International est à
nouveau victime d’une saisie à l’aéroport. En « Une », un article titré
« Kabila peut-il être sauvé ? »
Autre moyen employé pour faire pression sur les médias critiques envers le
gouvernement, le recours aux pillages et aux incendies. Dès le 17 mai 1997,
alors même que Laurent-Désiré Kabila vient de se proclamer président de la
République, les locaux du groupe de presse privé Le Soft, sont pillés par
les soldats de l’Alliance (cf. supra). Le 22 décembre 1997, les militaires
qui occupent, sans explication plausible, les locaux du journal privé Elima
depuis le mois de novembre, pillent les bureaux et l’imprimerie, emportant
jusqu’aux portes et fenêtres. Un an plus tard, le 13 janvier 1999, un
incendie détruit, en pleine nuit, les studios de Radio-télévision message de
vie, situé dans la commune de Kasa Vubu, à Kinshasa. Les locaux, propriété
d’un pasteur pentecôtiste, avaient été inaugurés depuis peu. Selon des
observateurs, l’hypothèse de l’accident semble peu probable.
Conclusions et recommandations
Depuis qu’il s’est emparé du pouvoir, Laurent-Désiré Kabila a utilisé toute
une panoplie de mesures pour réprimer la presse. Les journalistes sont
détenus en dehors de toute procédure légale : les autorités judiciaires sont
rarement saisies, les délais de garde à vue ne sont pas respectés, certains
lieux de détention ne sont accessibles ni aux familles ni aux avocats. Au
point qu’un journaliste n’hésitait pas à confier : « Si je suis arrêté, je
supplie d’être conduit à Makala [prison centrale de Kinshasa] ». Les cachots
des différents « services » qui s’en prennent aux journalistes sont dans des
états répugnants. Les conditions de détention y sont déplorables.
Pour justifier la multiplication des mesures de coercition, les autorités
invoquent la piètre qualité de la presse kinoise, le ton injurieux de
certains articles et les propos diffamatoires tenus par de trop nombreux
journalistes. Il est vrai que ce que le pouvoir, depuis l’époque du maréchal
Mobutu, a qualifié de « presse rouge » – allusion faite à la couleur des logos
utilisés par les journaux d’opposition -, a toujours été très critique à
l’égard du gouvernement, au point d’ignorer parfois les règles d’éthique
professionnelle. Il faut dire, sans que cela puisse servir d’excuse aux
journalistes qui préfèrent l’injure à l’investigation et les rumeurs aux
faits, que les conditions de travail des professionnels de l’information ne
facilitent pas leur tâche. Un accès plus que difficile aux sources
d’information, des téléphones souvent inexistants dans les rédactions, des
moyens de transport hors de portée financière de nombreux journalistes, des
salaires tellement bas qu’ils conduisent beaucoup à accepter le « coupage »,
c’est-à-dire, en clair, d’être payés par ceux-là mêmes dont ils sont censés
couvrir les activités : tout se conjugue pour que se multiplient les bavures
et les dérapages. Mais cette situation, que de nombreux journalistes
déplorent, ne saurait dédouaner le pouvoir de ses responsabilités. La
République démocratique du Congo est devenue aujourd’hui le pays le plus
répressif en matière de liberté de la presse de toute l’Afrique francophone.
Le caractère arbitraire de bon nombres des mesures prises contre les
journalistes est encore accentué par l’inégalité de traitement réservé aux
différents médias. Pour avoir dit ou écrit des choses tout à fait
similaires, certains titres échappent aux représailles des forces de
sécurité, alors que d’autres sont systématiquement poursuivis. Des sujets,
touchant notamment à la police ou à l’armée, sont aujourd’hui quasiment
tabous. Des hommes proches du chef de l’Etat sont devenus pratiquement
intouchables.
Le recours aux sévices corporels, aux incendies, aux pillages, à la
destruction par le feu de journaux, témoigne de l’absence totale de respect
du pouvoir de Laurent-Désiré Kabila pour ceux qui osent le critiquer. Il y a
donc, non seulement une continuité dans la répression entre le maréchal
Mobutu et son successeur, mais même une aggravation.
Aussi, Reporters sans frontières recommande aux autorités de Kinshasa :
– de libérer immédiatement les journalistes détenus pour des délits de
presse,
– de faire respecter la loi en matière d’interpellation et d’incarcération
(mandats d’arrêt, mandats de perquisition, délais de garde à vue, permis de
visites des familles et des avocats),
– d’interdire l’incarcération de journalistes dans des camps militaires et
autres lieux de détention non autorisés,
– de veiller à ce que les forces de l’ordre, les services de sécurité, les
responsables de l’armée, les autorités locales et les dignitaires du régime
cessent de harceler les journalistes ou de s’en prendre aux équipements de
médias qui critiquent le pouvoir,
– de faire connaître aux magistrats la loi sur la presse afin que ceux-ci se
réfèrent à ce texte chaque fois qu’ils sont confrontés à un délit de presse,
– de procéder à un « toilettage » de la loi sur la presse du 22 juin 1996 afin
de supprimer toutes les peines de prison pour des délits de presse, à
l’exception des appels à la violence ou à la haine ethnique,
– d’assurer aux journalistes des médias d’Etat des conditions de travail et
des salaires qui leur donnent les moyens de refuser toute pratique
préjudiciable à leur indépendance et à la crédibilité des informations
diffusées,
– de s’engager à respecter la libre circulation de l’information, en ne
procédant plus à l’interpellation ou à l’expulsion de journalistes étrangers
et des correspondants de la presse internationale, et en autorisant la
diffusion des émissions de radios ou de télévisions étrangères sur les
stations locales,
– de faire en sorte que cessent les mauvais traitements dont sont victimes
des journalistes, en appliquant strictement la Convention contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ratifiée
par la République démocratique du Congo,
– et plus généralement de suivre les recommandations du rapporteur spécial
des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans la République
démocratique du Congo qui a demandé au gouvernement de Kinshasa, en février
1999, de « restaurer la liberté d’expression », et de se conformer à ses
engagements internationaux en matière de liberté de la presse (la République
démocratique du Congo a ratifié le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques et la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples).
Reporters sans frontières recommande aux journalistes congolais :
– de se conformer aux règles d’éthique et de probité professionnelle, telles
que définies dans la Charte des devoirs et des droits des journalistes,
signée en 1971 à Munich, et à laquelle se réfère la Charte du journaliste
congolais, adoptée en 1995 à Kinshasa par les états généraux de la
communication,
– de se doter, à l’image de l’Observatoire de la liberté de la presse, de
l’éthique et de la déontologie en Côte d’Ivoire, d’une structure
professionnelle chargée de relever les manquements, les dérapages et les
bavures des différents organes d’information.
Reporters sans frontières recommande aux éditeurs de la presse écrite et
audiovisuelle privée :
– de garantir aux journalistes qu’ils emploient des salaires minimums, seuls
susceptibles de mettre fin à la pratique du « coupage »,
– de se conformer à la législation en matière de contrat de travail,
d’assurance sociale et de retraite.
Reporters sans frontières recommande à la communauté internationale et aux
bailleurs de fonds :
– d’exiger des autorités de Kinshasa le respect de leurs engagements
internationaux en matière de liberté d’expression – et donc de liberté de la
presse -, comme prévu notamment dans l’article 5 de la Convention de Lomé,
et d’en tirer, dans le cas contraire, toutes les conséquences,
– d’apporter leur concours aux associations locales de défense de la liberté
de la presse,
– de soutenir les médias, privés comme publics, qui s’engageraient à
respecter scrupuleusement les règles et l’éthique professionnelles, en
mettant notamment en place des programmes de formation des professionnels
des médias (dans les domaines, par exemple, de l’investigation, de la
recherche des sources, du recoupement de l’information, etc.).