Le représentant de RSF en Turquie, et membre de l'IFEX, Erol Önderoglu, est lui-même victime de cette loi. Avec le physicien Sebnem Korur Fincanci et le journaliste exilé Ahmet Nesin, ils sont poursuivis, depuis cinq ans, pour “propagande pour une organisation terroriste”, “apologie d’un crime ou d’un criminel” et “incitation à commettre un crime”.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 2 avril 2021.
Dans les prochaines semaines, au moins dix journalistes, dont le représentant de RSF, sont appelés à comparaître devant la justice turque et risquent jusqu’à 14 ans de prison. Tous sont poursuivis sur la base de la Loi Antiterroriste turque (TMK), une législation qui permet depuis 20 ans d’intimider et de réduire au silence les journalistes traitant de la question Kurde.
Elle risque sept ans et six mois de prison pour une simple photo. La journaliste spécialiste des affaires de violences conjugales, Melis Alphan, doit comparaître ce mardi 6 avril devant la Cour d’assises d’Istanbul. Cette ancienne chroniqueuse du quotidien Hürriyet est accusée de “propagande pour une organisation terroriste”, selon l’article 7 de la Loi Antiterroriste turque, pour avoir publié, le 21 mars 2015, une photo des célébrations du Nouvel An kurde (Newroz) à Diyarbakir montrant des drapeaux du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation considérée comme terroriste par Ankara.
Melis Alphan fait partie des nombreux journalistes poursuivis sur la base de cette loi. Entré en vigueur en 1991, ce texte est utilisé depuis 20 ans pour réduire au silence et intimider journalistes et médias qui ne suivraient pas la ligne officielle du gouvernement sur la question Kurde. En vertu de la TMK, signer un article, partager une photo ou poster un tweet sur ce sujet brûlant sans jamais avoir fait l’apologie de la violence peut conduire un journaliste en prison.
Le représentant de RSF en Turquie, Erol Önderoglu, est lui-même victime de cette loi. Avec le physicien Sebnem Korur Fincanci et le journaliste exilé Ahmet Nesin, ils sont poursuivis, depuis cinq ans, pour “propagande pour une organisation terroriste”, “apologie d’un crime ou d’un criminel” et “incitation à commettre un crime”. Les trois hommes doivent comparaître, le 6 mai prochain, devant la Cour d’Assises d’Istanbul et risquent jusqu’à 14 ans et six mois de prison. Leur crime ? : avoir participé à une campagne de solidarité en faveur du quotidien pro-kurde Özgür Gündem. Acquittés le 17 juillet 2019, ils ont vu leur jugement annulé le 20 octobre 2020. En quatre ans, ce sont plus d’une vingtaine de journalistes, écrivains et intellectuels ayant participé à cette campagne de solidarité qui ont été condamnés par la justice turque, la plupart à de fortes amendes. D’autres ont passé plusieurs mois en prison. C’est le cas des journalistes Murat Çelikkan et Ayşe Düzkan, condamnés pour “propagande pour le PKK”.
Cinq autres journalistes risquent la prison sur la base de cette Loi Antiterroriste. La correspondante de la chaîne critique Arti TV à Ankara, Sibel Hürtaş est actuellement poursuivie pour avoir invité dans son émission le député pro-kurde Osman Baydemir, qui avait critiqué les opérations militaires des forces armées turques contre l’enclave d’Afrin (Nord de la Syrie). Le photoreporter Abdurrahman Gök comparaîtra, le 3 juin prochain, devant la Cour d’assises de Diyarbakir (Sud-est du pays). Il est accusé d’appartenir au PKK et de “faire la propagande du PKK” dans ses articles et via ses tweets. Les journalistes Canan Coşkun, Ali Açar et Cansever Uğur doivent pour leur part comparaître devant la Cour d’assises d’Istanbul, le 8 juin. Ils sont accusés d’avoir “révélé ou publié l’identité de représentants de l’État impliqués dans le combat antiterroriste et/ou de les avoir identifiés comme des cibles” (article 6 de la TMK) et risquent trois ans de prison. Les journalistes avaient publié, en 2016, des articles dans lesquels ils révélaient l’identité du CRS soupçonné d’être l’auteur du tir de grenade lacrymogène qui a tué le jeune Berkin Elvan, lors des manifestations anti-Erdogan de Gezi, au printemps 2013. L’adolescent de 16 ans était devenu le symbole de la répression exercée par le pouvoir turc et de sa dérive autoritaire.
Le conflit entre le PKK et les autorités turques a fait près de 40 000 morts depuis 1984 dans le sud-est du pays.
La Turquie occupe le 154e rang sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.