La loi 6325, adoptée le 5 juillet dernier, prévoit la suspension, voire l'abandon, des poursuites judiciaires à l'encontre des journalistes accusés de faire la propagande d'organisations terroristes.
MISE À JOUR: La Cour d’assises d’Istanbul rejette la demande de libération de trois journalistes (RSF, le 31 juillet 2012)
(RSF/IFEX) – Reporters sans frontières prend acte de la libération, le 23 juillet 2012, du journaliste Vedat Kursun, ancien rédacteur en chef du quotidien en kurde Azadiya Welat (Peuple Libre, en kurde), décidée par la Cour d’assises de Diyarbakir, après trois ans et sept mois de prison.
“Nous prenons acte de cette remise en liberté. L’adoption du paquet de réformes devrait accélérer le rythme des libérations, qui reste encore insuffisant. Nous demandons à ce que tous les journalistes encore emprisonnés pour avoir fait leur travail ou à cause de leur supposée collaboration avec des organisations illégales, puissent bénéficier de la liberté conditionnelle », a déclaré Reporters sans frontières.
Suite à la décision de la Cour de Diyarbakir, Vedat Kursun a pu quitter la prison de type E, de Giresun, où il était détenu depuis le 30 janvier 2009. Le journaliste avait été condamné à seize ans et six mois de prison pour “propagande en faveur du PKK”, à cause de plusieurs articles sur la question kurde et sur les exactions commises au Kurdistan.
Il a pu bénéficier des effets de l’adoption, le 5 juillet dernier, de la loi 6325 qui prévoit la suspension, voire l’abandon, des poursuites judiciaires à l’encontre des journalistes accusés de faire la propagande d’organisations terroristes. Le texte de loi préconise également la libération des représentants des médias accusés d’appartenir ou d’avoir « collaboré » avec des organisations illégales.
A ce jour, près de 90 représentants de médias d’opposition (kurde, laïc, gauche) restent emprisonnés, jusqu’à la tenue de la prochaine série d’audiences. Une minorité d’entre eux ont toutefois déjà été reconnus coupables des charges qui pesaient contre eux.
Le procès de Ragip Zarakolu, hautement symbolique
Le procès du célèbre journaliste, éditeur et défenseur des droits de l’homme, Ragip Zarakolu, s’est déroulé du 13 au 21 juillet 2012. Après une lecture publique de l’acte d’accusation (environ 2400 pages au total), réalisée en alternance par deux présentateurs de la télévision turque invités pour l’occasion, la Cour a finalement décidé un report de l’audience à la rentrée prochaine.
Depuis son instauration, la loi 6325 a entraîné peu de libérations de journalistes. Le rédacteur en chef du périodique kurde Hawar (Solution), Bedri Adanir, ainsi que son collaborateur Ozan Kilinç, attendent toujours que leur libération soit discutée lors des jours ou des semaines à venir.
Haci Bogatekhi, nouvelle condamnation
Le 27 juin, la 3e chambre de la Cour d’assises de Malatya (sud-est du pays) a reconnu coupable de « relai de propagande du PKK » le journaliste de l’hebdomadaire Gerger Firat (Gerger Euphrate), Haci Bogatekin . Il a été condamné à un an de prison ferme, en vertu de l’article 215 du code pénal pour « éloge d’un crime ou d’un criminel ».
Le jugement, décidé en l’absence du journaliste, fait suite à la publication d’une chronique intitulée « Feto et Apo » (diminutifs pour Fethullah Gülen et Abdullah Öcalan), publiée le 8 janvier 2008. Le journaliste y critiquait notamment les interventions répétées des forces de police et de l’armée dans les montagnes où vivent retranchés les militants du PKK, et leur manque d’efficacité contre la communauté religieuse de Fethullah Gülen, très critiquée par les milieux laïcs turcs.
Dans une autre chronique, il avait rendu publiques les menaces du procureur Sadullah Ovacikli qui l’avait sommé de s’excuser d’avoir insulté Fethullah Gülen. Il avait été immédiatement incarcéré et détenu pendant 109 jours pour « insulte », « diffamation » et « tentative d’influence d’une procedure judiciaire ».
Haci Bogatekin a déclaré à Reporters sans frontières qu’il saisirait la Cour de cassation afin de contester le verdict.
Poursuites suspendues, Affaire OdaTV
Mi-juillet 2012, la 12e chambre de la Cour d’assises d’Istanbul a statué en faveur d’un abandon des poursuites judiciaires contre le rédacteur en chef d’OdaTV, Baris Terkoglu , détenu depuis le 14 février 2011 pour avoir supposément collaboré avec l’organisation terroriste Ergenekon.
Le journaliste était accusé d’avoir mis en danger la vie de certains chefs du renseignement à Istanbul, de juges et de procureurs chargés de l’enquête Ergenekon, en publiant, dans son article « Ces photos vont faire du bruit », des clichés les montrant ensemble en train de jeûner, à l’occasion du Ramadan. Il avait été considéré que les photos pouvaient exposer les hauts fonctionnaires à des représailles de la part d’organisations terroristes. Inculpé sous l’article 6, alinéa 1 de la loi 3713 antiterroriste, le journaliste risquait jusqu’à trois ans d’emprisonnement.
La Cour n’a pas attendu l’audience du mercredi 19 juillet pour relaxer provisoirement le journaliste. Ce dernier pourrait voir son dossier définitivement classé au terme d’une période de trois ans, si toutefois il n’est pas de nouveau arrêté pour des motifs similaires.
Les poursuites contre le rédacteur en chef du quotidien républicain Cumhuriyet, Güray Öz, ont également été suspendues. Ce dernier avait participé à la diffusion des photos prises par Baris Terkoglu. Bien qu’il n’avait pas été détenu, il faisait cependant l’objet d’une enquête.
Quant aux autres collaborateurs du site odatv.com, Soner Yalçin, Baris Pehlivan et Yalçin Küçük , ils n’ont pas pu bénéficier d’une amnistie. Lors de la prochaine audience de leur procès, qui devrait se tenir à la mi-septembre, leur remise en liberté pourrait être envisagée.
Journalistes libérés
En vertu de la loi 6352, qui privilégie le contrôle judiciaire aux arrestations systématiques, la rédactrice en chef de l’hebdomadaire d’extrême gauche Yürüyüs (Marche), Halit Güdenoglu, ainsi que ses collaborateurs, Cihan Gün, Naciye Yavuz, Kaan Ünsal et Musa Kurt, ont été libérés le 20 juillet. Les journalistes étaient détenus depuis le 24 décembre 2010.
La décision a été prononcée par la 11e chambre de la cour d’assises d’Ankara, qui a pris en compte “la durée passée en détention” et les « pièces à convictions”. La Cour a transféré les dossiers au procureur afin que ce dernier puisse préparer son réquisitoire et remettre les enregistrements réalisés lors de l’enquête. Les journalistes ont interdiction de quitter le territoire national.
Une journaliste libérée après trois mois de détention
L’ancienne rédactrice en chef du périodique d’extrême gauche Yeni Evrede Mücadele Birligi (Combat dans la Nouvelle Période), Gülnaz Yildirim Yildiz, a été libérée de la prison de Bakirköy (Istanbul), le 23 juillet. Elle se trouvait en prison depuis le 27 avril dernier, date à laquelle la Cour de cassation avait confirmé sa condamnation à trois ans et neuf mois d’emprisonnement pour « propagande » au bénéfice du TKEP/L (Parti communiste turc du travail/léniniste).
Mehmet Karaaslan, libéré à un mois de la fin de sa peine
Le 13 juillet dernier, le reporter de l’Agence pro-kurde Diha, Mehmet Karaaslan, a été libéré de la Prison de Birecik, à Şanlıurfa (sud-est du pays), où il purgeait une peine de six ans et trois mois de prison pour sa supposée appartenance au PKK. Il aurait dû être libéré dans le courant du mois d’août 2012 mais la 7e chambre de la cour d’assises d’Adana s’est finalement prononcée en faveur de sa libération anticipée, en vertu de la loi 6325. Il avait été arrêté le 19 avril 2007 lors d’une manifestation où on lui avait reproché d’avoir scandé des slogans de soutien au leader du PKK emprisonné, Abdullah Öcalan.