L’accès au site Internet de l’agence d’information Ferghana, référence russophone sur l’Asie centrale, est bloqué au Kirghizistan depuis février 2012.
L’accès au site Internet de l’agence d’information Ferghana, référence russophone sur l’Asie centrale, est bloqué au Kirghizistan depuis février 2012. Quelques mois plus tard, Ferghana a introduit un recours en justice contre cette mesure non seulement illégitime, mais aussi illégale. Contrairement à ce que prévoit la loi en pareil cas, aucun juge n’avait autorisé le blocage du site. Mais le procès intenté par Ferghana à l’Agence d’Etat pour les Communications (GAS) s’est clos de manière abrupte et prématurée le 27 mars 2013, le juge mettant fin aux débats en invoquant la prescription. De son côté, le chef de la GAS a annoncé que d’après lui, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) pouvaient débloquer le site.
Reporters sans frontières demande à la justice de rouvrir le dossier en appel et de condamner clairement le blocage de Ferghana, ordonné par le parlement et la GAS sans l’aval d’un juge. L’organisation incite également les FAI à débloquer le site sans plus attendre.
“Tout se passe comme si la justice cherchait à se soulager à bon compte de ce dossier embarrassant, a déclaré Reporters sans frontières. Mais on ne saurait se satisfaire d’une telle issue : le blocage illégal de Ferghana constitue un précédent extrêmement dangereux pour la liberté de l’information et l’Etat de droit. Sa condamnation explicite est impérative pour éviter que cela ne se reproduise. Il y va également de l’honneur du pays : appliquer à Ferghana la même sanction que lui font subir les autocraties ouzbèke et turkmène est indigne de la part du Kirghizstan, qui se veut un modèle régional de démocratie parlementaire.”
Le site web de Ferghana a été bloqué par les FAI kirghizes en février 2012, après une requête de la GAS qui faisait suite à une recommandation du parlement. Les députés accusaient Ferghana d’avoir publié des informations “subjectives” et à caractère “provocateur” sur les massacres perpétrés dans le sud du pays en juin 2010. Reporters sans frontières, au contraire, avait qualifiée d’“exemplaire” sa couverture des événements et adressé un courrier au parlement pour l’exhorter à revenir sur sa décision. Ferghana s’est attiré les foudres de certaines fractions politiques en s’interrogeant régulièrement sur le devenir de la démocratie kirghize et la montée du nationalisme dans le pays.
Tout au long du procès intenté par Ferghana, la GAS a cherché à rejeter la responsabilité du blocage sur le parlement et les FAI. D’après son représentant, Almaz Kadyrkoulov, le courrier adressé aux FAI et leur enjoignant de bloquer le site n’avait qu’un “caractère de recommandation”. Au lendemain de la décision du tribunal de mettre fin aux débats, il a déclaré dans un entretien au journal Vetcherny Bichkek que “les opérateurs ont désormais le droit de débloquer le site, et en ce qui me concerne, ça m’est égal”.
Comme l’a expliqué à Reporters sans frontières le rédacteur en chef de Ferghana, Daniil Kislov, cette déclaration n’est en aucun cas suffisante pour que les FAI rendent effectivement le site accessible. “D’après nos sources, certains FAI vont maintenant demander à la GAS de confirmer par écrit la possibilité de lever le blocage du site. Ils ne mettront fin au filtrage qu’après en avoir reçu l’autorisation [explicite]. Les autres, qui font plus grand cas de l’attention des autorités, garderont le statu quo”, a-t-il déclaré.
“Pour nous, la décision du juge d’interrompre les débats au nom d’une raison fantaisiste et les déclarations du chef de la GAS ne changent rien, souligne-t-il. Nous allons poursuivre notre combat pour obtenir justice et le respect de la légalité dans ce dossier, aussi naïve que puisse sembler cette ambition. Notre but est de faire annuler la décision parlementaire sur le blocage du site ou d’obtenir une décision de justice dûment motivée quant à son interdiction.”