Depuis plus de 30 ans, Eren Keskin défend les droits des femmes qui subissent la violence en Turquie. Et c'est pour cela qu'elle affronte des tentatives d'assassinat, la prison, et le harcèlement.
Depuis plus de 30 ans, Eren Keskin défend les droits des femmes qui subissent la violence dans son pays natal, la Turquie. Et c’est pour cela qu’elle affronte des tentatives d’assassinat, la prison, le harcèlement de la part de personnalités publiques et des menaces de mort anonymes, entre autres des appels où elle se fait dire : « Nous prenons les mesures de ton cercueil ».
Les autorités turques laissent cette intimidation se poursuivre virtuellement sans sévir. En 2001, Zeki Genç a tenté de tuer Keskin dans son bureau. Il a été arrêté et traduit devant les tribunaux, mais il a été relâché après six mois seulement. Keskin avait déjà été agressée en 1994 tandis qu’elle travaillait comme cadre à la section locale d’Istanbul de l’Association de défense des Droits de la personne (Human Rights Association, HRA). Dans ces deux affaires, les balles avaient raté leur cible.
« Je suis menacée de violence parce que j’exige que justice soit rendue aux femmes violées et torturées; comme tous les militants des droits de la personne en Turquie qui ont été attaqués dans le passé et qui le sont toujours », dit Keskin.
Au lieu d’obtenir justice, Keskin elle-même a été incarcérée pendant six mois en 1995. En 2002, le Barreau d’Istanbul l’a suspendue comme avocate pendant un an à la demande du Ministère de la Justice. Ces deux mesures étaient la conséquence de ses articles dans lesquels elle critiquait les politiques de l’État. De nombreuses poursuites judiciaires ont été entamées contre Keskin, dont une actuellement en cours qui pourrait lui valoir une peine de 10 mois de prison.
Co-fondatrice de l’Aide juridique pour les femmes violées ou autrement agressées sexuellement par les forces de sécurité nationale (Legal Aid for Women Who Were Raped or Otherwise Sexually Abused by National Security Forces) dans le cadre de son travail auprès de la HRA, Keskin a révélé des affaires de mauvais traitements et d’emploi de la force mortelle par les autorités turques contre des manifestants et des prisonniers. Sur la scène internationale, Keskin a reçu de nombreux honneurs en reconnaissance de son travail, dont le Prix de la Paix Aachen (Aachen Peace Award) en 2004 et le Prix Theodor-Haecker du Courage civique et de l’intégrité politique (Theodor Haecker Prize for Civic Courage and Political Integrity) en 2005.
Un grand merci à l’Initiative pour la liberté d’expression (Initiative for Freedom of Expression, [Antenna]) – Turquie pour avoir contribué à cette action.
LA LETTRE
Son Excellence Recep Tayyip Erdoğan
Premier ministre de la République de Turquie
Vekaletler Caddesi Başbakanlık Merkez Bina
P.K. 06573; Kızılay, Ankara
Turquie
Le 7 novembre 2013
Monsieur le Premier ministre
Vous avez dit qu’en Turquie, « Il est d’une suprême importance de préserver les droits de la personne. »
Pourtant, le harcèlement, les poursuites judiciaires et l’emprisonnement des défenseurs des droits de la personne et des journalistes, pratiques qui ont toujours cours dans votre pays, entrent directement en contradiction avec cette affirmation. L’incapacité du gouvernement à protéger les citoyens qui se portent à la défense des droits de la personne et de la liberté d’expression ternit l’image de la Turquie sur la scène mondiale.
Aujourd’hui, votre gouvernement a l’occasion de faire la démonstration de l’engagement que vous avez pris de protéger les droits des citoyens turcs, en prenant des mesures immédiates pour protéger l’avocate Eren Keskin et faire rendre des comptes à ceux qui la menacent.
Keskin travaille comme avocate à Istanbul depuis plus de 20 ans. Pendant tout ce temps, elle a également tenté de sensibiliser la société à la violence contre les femmes de Turquie, en particulier dans les prisons, et de faire traduire en justice les auteurs de cette violence. La communauté internationale a reconnu son travail en lui décernant des honneurs, notamment le Prix Aachen de la paix (2004) et le Prix Theodor-Haecker du Courage civique et de l’intégrité politique (2005).
Dans sa Turquie natale, cependant, Keskin est fréquemment soumise à de l’intimidation, à des menaces et à la violence :
• Le 15 novembre 2001 Zeki Genç a tenté de l’assassiner en tirant des coups de pistolet sur elle à l’Association de défense des Droits de la personne de Turquie, section locale d’Istanbul. Même s’il a été arrêté et jugé, Genç a été remis en liberté après seu-lement six mois de détention.
• En 2002, Fatih Altayli, chroniqueur et chef des nouvelles à la chaîne D de Tur-quie, a déclaré dans une entrevue à la radio : « Je serais un lâche si je n’agressais pas sexuellement Eren Keskin à la première occasion. » Il n’a été condamné qu’à une amende de 500 lires turques et n’a pas fait d’excuses publiques.
• Keskin a également reçu de nombreuses menaces de mort, notamment de la part de la Brigade de revanche turque et d’un ancien officier de police.
Tandis que nous nous apprêtons à souligner la Journée internationale contre l’impunité, le 23 novembre, je vous demande de prendre des mesures immédiates pour traduire en justice les auteurs des agressions mentionnées ci-dessus, et de prendre l’engagement de fournir une protection contre de futures menaces contre Keskin et les autres défenseurs des droits de la personne en Turquie.
Salutations,