**No English language version of this report is available** (RSF/IFEX) – Ci-dessous, un rapport de RSF sur la situation des médias en République centrafricaine: République centrafricaine : Dérapages de la presse privée et mainmise du pouvoir sur les médias publics Avec le soutien de la Commission européenne Février 2000 Introduction Le 28 décembre 1999, lors […]
**No English language version of this report is available**
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un rapport de RSF sur la situation des médias en République centrafricaine:
République centrafricaine : Dérapages de la presse privée et mainmise du pouvoir sur les médias publics
Avec le soutien de la Commission européenne
Février 2000
Introduction
Le 28 décembre 1999, lors d’un discours devant l’Assemblée nationale, le président de la République, Ange-Félix Patassé, lance un avertissement à la presse privée de son pays. Il affirme qu’à partir du 1er janvier 2000, « des mesures seront prises contre la presse qui a tendance à inciter à la rébellion, à la guerre tribale et à la haine ». Il ajoute que « la page est définitivement tournée et la récréation terminée ». Si, au 1er février 2000, aucune mesure n’a été prise contre des journaux privés, il n’en reste pas moins que ces propos tenus par le chef de l’Etat sont alarmants. D’autant que, dès le lendemain de cette déclaration, quatre directeurs de journaux privés Faustin Bambou des Collines du Bas-Oubangui, Cardoso de Meillot du Démocrate, Judes Zosse de L’Hirondelle et Maka Gbossokotto du Citoyen sont convoqués et interrogés par le président du tribunal militaire du ministère de la Défense.
Dans le même temps, le Président demande à Reporters sans frontières de venir en République centrafricaine afin de juger sur pièces de la situation. Du 15 au 19 janvier 2000, le secrétaire général et le responsable du bureau Afrique de l’organisation se rendent sur place.
L’état de la presse centrafricaine
La presse privée centrafricaine compte trois quotidiens, une dizaine d’hebdomadaires et quelques journaux à la parution des plus irrégulières. Le plus gros tirage (Le Citoyen) est de moins de 1 000 exemplaires et la plupart des titres vendent moins de 300 exemplaires. Ces journaux sont vendus à 300 francs CFA (0,5 euro).
L’Etat conserve un quasi-monopole sur l’audiovisuel. La seule station privée est Radio Notre-Dame, une station catholique qui diffuse quelques bulletins d’informations. Radio Minurca, la station de la mission des Nations unies, a cessé d’émettre définitivement le 1er février 2000. Les stations étrangères, Africa N°1 et Radio France Internationale, émettent en modulation de fréquence depuis 1994. Il n’existe pas de chaîne de télévision privée en République centrafricaine.
Les médias publics sont composés de Radio Centrafrique, TV Centrafrique et de l’Agence Centrafrique pour la presse (ACAP). La radio émet 24 heures sur 24 tandis que la télévision commence ses programmes en fin d’après-midi. L’agence de presse publie un bulletin hebdomadaire diffusé à une centaine d’exemplaires dans les administrations et les ambassades. En tout, les médias publics emploient une cinquantaine de journalistes (contre une vingtaine pour l’ensemble de la presse privée). Socatel, une société publique, est le seul fournisseur d’accès local. L’état du réseau des télécommunications ne permet pas le développement rapide de l’Internet. L’utilisation du courrier électronique reste aléatoire, tant les problèmes de connexion sont nombreux.
La presse privée centrafricaine, qui jouit d’une réelle liberté, est de qualité très inégale. Si de rares journalistes tentent de mener des enquêtes, d’autres n’hésitent pas à publier des articles fondés sur de simples rumeurs, quand ils ne sont pas, tout simplement, diffamatoires. Plusieurs journaux privés, proches de l’opposition comme du pouvoir, font preuve d’un manque total de professionnalisme et servent de supports à des règlements de comptes politiques. La quasi-totalité des journaux privés se sont réunis au sein du Groupement des éditeurs de la presse privée et indépendante du Centrafrique (GEPPIC). Cette structure possède un duplicopieur et plusieurs ordinateurs qui permettent la saisie des textes, la mise en page et le tirage des journaux. Le GEPPIC a reçu une subvention de l’Etat centrafricain ainsi que différentes aides des ambassades des pays occidentaux.
Une loi sur la presse répressive
Lors de cette mission, le ministre de la Communication et le président de l’Assemblée nationale ont annoncé à Reporters sans frontières leur intention de modifier la loi n°98.006 relative à la liberté de la communication, lors de la session parlementaire qui s’ouvre le 1er mars 2000. La loi actuelle maintient des peines de prison ferme pour des délits de presse tels que la « publication de fausses nouvelles » ou la « diffamation ». Elle prévoit également ce type de sanction pour des manquements au régime des publications (« diffusion d’une publication déclarée non conforme », « fausse déclaration en vue d’obtenir une carte de presse », etc.). Les autorités centrafricaines ont accepté que Reporters sans frontières fasse des propositions en vue de supprimer les peines de prison pour tous les délits de presse, sauf en ce qui concerne la propagande en faveur de la guerre et les appels à la haine nationale, raciale ou religieuse.
En la matière, Reporters sans frontières se base sur un document du 14 juillet 1992 de la Commission des droits de l’homme des Nations unies qui souligne que « la détention en tant que sanction négative de l’expression d’une opinion, constitue l’un des moyens les plus répréhensibles destinés à imposer le silence et, de ce fait, est une violation grave des droits de l’homme ». Ce qui explique qu’aujourd’hui, aucun Etat démocratique ne prononce de peine d’emprisonnement dans des affaires de presse. D’une manière plus générale, une condamnation à une peine de prison pour un délit de presse est considérée par les instances internationales en charge des droits de l’homme, comme « disproportionnée » par rapport au préjudice subi par la victime. La République centrafricaine a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui garantissent la liberté d’expression.
La mainmise du pouvoir sur les médias publics
Même si plusieurs textes de loi prévoient l’accès des partis d’opposition aux médias publics, dans les faits, le président Patassé reste omniprésent. La diffusion in extenso sur Radio Centrafrique des nombreux messages de félicitations à l’occasion de sa réélection en est une illustration. Les médias d’Etat sont, d’après les autorités, « au service du gouvernement et de sa politique ». L’opposition n’y a que très difficilement accès. L’élection présidentielle du mois de septembre 1999 a montré le déséquilibre dans le traitement de l’information. Si les médias ont accordé un espace équitable à tous les candidats dans le cadre de la campagne officielle, cela n’a pas été le cas dans les journaux de la radio et de la télévision. Les meetings du Président et des membres de son parti ont fait l’essentiel de l’actualité dans les semaines précédant l’élection. D’un autre côté, il semble que certains partis d’opposition boycottent les médias d’Etat et ont fait le choix délibéré de ne pas utiliser le temps d’antenne qui leur est normalement attribué par la loi.
Des mutations et des sanctions ont frappé des journalistes de la presse publique. Fin avril 1999, Christian Panika, journaliste de la station publique Radio Centrafrique et, par ailleurs, correspondant de Radio France Internationale et de l’Agence France-Presse, est muté par les autorités à l’ACAP. Cette décision intervient après une série de pressions sur le journaliste (interdiction de pénétrer dans les locaux, convocations administratives, etc.). On lui reproche notamment le fait d’avoir laissé diffuser sur la radio nationale un communiqué de l’ANECA, une organisation d’étudiants qui critiquait certaines décisions du gouvernement. Le ministre de la Communication s’est engagé, auprès de Reporters sans frontières, à faire en sorte que Christian Panika retrouve rapidement sa place à Radio Centrafrique.
Le 11 octobre 1999, Sylvie-Jacqueline Benguere, présentatrice à la radio nationale est « suspendue de micro jusqu’à nouvel ordre ». On lui reproche de n’avoir pas lu à l’antenne l’intégralité des messages adressés au chef de l’Etat à l’occasion de sa réélection et d’avoir diffusé, sans autorisation, une interview d’un candidat à l’élection présidentielle. La journaliste avait estimé, devant le nombre considérable de lettres adressées au chef de l’Etat, qu’elle pouvait se contenter de lire celles provenant des chefs d’Etat et des hautes personnalités. Le 17 janvier, alors que les représentants de Reporters sans frontières sont toujours à Bangui, Sylvie-Jacqueline Benguere retrouve sa place de présentatrice à la radio nationale.
Ces deux cas montrent qu’il est difficile de demander aux journalistes des médias publics d’aller au-devant de l’information si, dès lors qu’ils prennent certaines initiatives, ils sont sanctionnés par leurs responsables. Lors de cette mission, Reporters sans frontières n’a reçu aucun engagement de la part des autorités en vue d’un éventuel changement de comportement des médias publics, notamment en ce qui concerne l’ouverture à toutes les sensibilités politiques.
Le Haut Conseil de la communication
La loi n°98.005 fixe le rôle et les modalités de fonctionnement de cette instance de régulation. Celle-ci est notamment chargée de « veiller à l’accès équitable des partis politiques, des syndicats, des associations et des citoyens aux moyens publics d’information » et de « garantir l’indépendance de l’information des médias publics ».
Le Haut Conseil de la communication ne joue pas son rôle. La faiblesse des moyens, mais également le manque de volonté de ses membres, rend cette structure inefficace. Si personne ne conteste son utilité, il est indéniable que dans la situation actuelle, ce Haut Conseil n’a pas l’indépendance nécessaire à son bon fonctionnement.
Le Haut Conseil de la communication est composé de neuf membres, dont une partie est nommée directement par le pouvoir (président de la République et président de l’Assemblée nationale) et une partie est élue par les journalistes. Il a été mis en place en novembre 1998.
Un accès limité aux informations officielles
Les journaux privés ont difficilement accès à certaines sources d’informations. La méfiance de certains hauts responsables envers la presse privée ainsi que la désorganisation qui règne dans les administrations empêchent les journalistes de recueillir l’information à sa source. Les voyages officiels du chef de l’Etat sont, par exemple, réservés à la presse publique. De la même manière, ce dernier n’a jamais accordé une seule interview à un journal privé, ni même donné une véritable conférence de presse.
D’un autre côté, il est certain que nombre de journalistes ne prennent même pas la peine d’essayer de vérifier leurs informations, se contentant de propos rapportés, souvent déformés ou exagérés, quand ils ne sont pas tout simplement faux. Trop souvent, des officiels sont mis en cause dans des journaux, sans même avoir été contactés par ces derniers pour entendre leur point de vue.
Le cas de Stephen Smith et de Géraldine Faes
Le 13 janvier 1999, à leur arrivée à l’aéroport de Bangui, Stephen Smith, journaliste du quotidien français Libération, et Géraldine Faes, journaliste indépendante, sont priés par la police de l’air et des frontières de rembarquer à bord du même avion, en compagnie de leurs enfants. Munis d’un visa délivré par l’ambassade de la République centrafricaine à Paris, ils devaient passer quelques jours de vacances dans le pays. Les policiers se sont contentés de leur préciser qu’ils étaient « indésirables » dans le pays. Le 13 septembre, une semaine avant l’élection présidentielle, Stephen Smith se voit notifier au téléphone son interdiction d’entrée en République centrafricaine par Prosper N’Douba, le chargé de la communication du président Patassé. En avril 1998, le journaliste avait publié une enquête qui affirmait que le chef de l’Etat était impliqué personnellement dans l’exploitation d’une zone diamantifère dans le nord-est du pays.
A propos de cette affaire, le président de la République a expliqué à Reporters sans frontières qu’elle relevait du ministre de l’Intérieur. De leur côté, le ministre de la Défense et le secrétaire général de la présidence ont expliqué aux représentants de l’organisation que Stephen Smith et Géraldine Faes pouvaient revenir en République centrafricaine. Ils doivent simplement, ont-ils précisé, refaire une demande officielle auprès de l’ambassade centrafricaine à Paris.
Des dérapages et des manquements dans la presse privée
A plusieurs reprises, Reporters sans frontières a rappelé aux journalistes de la presse publique et privée leurs devoirs. Les autorités ont remis à l’organisation un certain nombre d’articles de différents journaux privés pour lesquels, dans n’importe quel pays, leurs auteurs seraient condamnés pour diffamation et les titres en question contraints de payer de lourdes amendes. Certains de ces journaux ont également refusé de publier les droits de réponse des autorités.
En revanche, si l’organisation a constaté de trop nombreux cas d’injures ou de diffamation, elle n’a pas relevé d’appels flagrants à la haine ethnique ou raciale. Les propos du Président qui affirmait que cette presse incitait « au tribalisme » ne sont pas étayés par les copies des articles remis par les autorités. Il faut noter que ces manquements à l’éthique professionnelle se retrouvent dans les journaux privés proches de l’opposition comme du pouvoir.
Conclusions
Pour Reporters sans frontières, le président de la République a eu tort d’affirmer que des « mesures [seraient] prises » contre la presse privée. Ceci ne peut qu’envenimer des relations déjà conflictuelles entre le pouvoir et certains journalistes de la presse privée. De plus, il ne faut pas généraliser : si des titres font davantage parler d’eux par leurs « dérapages » que par la qualité de leurs enquêtes, d’autres tentent de se démarquer et d’offrir une information sérieuse et crédible.
Les représentants de Reporters sans frontières ont suggéré aux journalistes de la presse privée de se regrouper afin de créer de véritables équipes rédactionnelles. Il paraît, en effet, très difficile d’animer un hebdomadaire avec un ou deux journalistes. Si l’on tient compte de la grande faiblesse du marché publicitaire, du taux d’analphabétisme dans la population et de la quasi-impossibilité de distribuer les journaux à l’extérieur de la capitale, on peut se demander s’il y a de la place pour autant de titres en République centrafricaine.
Cette fragilité économique rend les journaux trop dépendants de ceux qui les utilisent pour des règlements de comptes personnels. Selon plusieurs témoignages, des titres de la place n’hésitent pas à publier des articles, sans vérifier les informations qu’ils contiennent, du moment qu’ils sont payés pour cela. Si les journalistes ne s’enrichissent pas pour autant, cet argent mal acquis permet, bien souvent, de prolonger momentanément la durée de vie d’un titre. De plus, la faiblesse des salaires constatée dans la presse privée (entre 30 000 et 100 000 francs CFA – 45 à 152 euros) rend les journalistes particulièrement sensibles aux sollicitations financières.
De même, les retards dans les paiements des salaires des médias publics (parfois jusqu’à vingt-quatre mois d’arriérés) obligent les journalistes à se faire payer par ceux-la mêmes qu’ils sont venus interviewer. Dans ce contexte, il est impossible de parler d’une information indépendante.
Des rencontres avec les différents représentants de l’Etat centrafricain et notamment avec le président de la République, Reporters sans frontières retient principalement l’engagement « personnel et ferme » du chef de l’Etat de veiller à ce qu’il n’y ait jamais de journaliste emprisonné dans le pays, ni « aucune mesure arbitraire ».
Recommandations
Reporters sans frontières recommande aux autorités centrafricaines :
– de modifier la loi sur la communication en supprimant notamment les peines de prison pour tous les délits de presse autres que « l’incitation à la haine ethnique ou raciale » et « l’appel à la violence ou au meurtre »,
– de faire en sorte que les médias publics soient ouverts à l’ensemble des sensibilités politiques et à tous les acteurs de la société civile,
– de mettre fin aux sanctions (interdictions d’antenne, mutations, etc.) frappant des journalistes de la presse publique qui n’ont fait qu’exercer leur métier,
– et plus généralement de respecter scrupuleusement l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 10 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, deux textes ratifiés par la République centrafricaine.
Par ailleurs, Reporters sans frontières demande aux journalistes centrafricains de respecter scrupuleusement les règles d’éthique et de déontologie professionnelles telles que définies dans la Charte des droits et des devoirs des journalistes adoptée à Munich en 1971.
Enfin, Reporters sans frontières demande aux bailleurs de fonds internationaux et notamment à l’Union européenne :
– de lancer un programme de formation des journalistes centrafricains de la presse privée et publique,
– de conditionner toute aide aux médias publics à la prise en compte par les autorités de Bangui des recommandations exposées ci-dessus concernant, tout particulièrement, la modification de la loi sur la presse et l’ouverture de l’audiovisuel public aux différentes sensibilités politiques.
N.B. : Dans un souci de transparence, Reporters sans frontières a soumis le présent rapport aux autorités centrafricaines avant sa diffusion. Le ministre de la Communication a émis un certain nombre de remarques sur le texte initial, dont certaines ont été prises en compte dans la rédaction du rapport final.
Pour plus de renseignements, contacter Jean-François Julliard, RSF, 5, rue Geoffroy Marie, Paris 75009, France, tel: +33 1 44 83 84 84, téléc: +33 1 45 23 11 51, courrier électronique: af