(JED/IFEX) – Ci-dessous un rapport de JED, daté du 29 mars 2002, retransmis tel que recu : RADIOTELEVISIONS COMMUNAUTAIRES : DES TRACASSERIES POLICIERES, ADMINISTRATIVES ET FISCALES POUR IMPOSER LE SILENCE RENDU PUBLIC A KINSHASA, LE 29 MARS 2002 INTRODUCTION Du 19 au 24 mars 2002, une mission de Journaliste en danger (JED) composée de M’Baya […]
(JED/IFEX) – Ci-dessous un rapport de JED, daté du 29 mars 2002, retransmis tel que recu :
RADIOTELEVISIONS COMMUNAUTAIRES :
DES TRACASSERIES POLICIERES, ADMINISTRATIVES ET FISCALES POUR IMPOSER LE SILENCE
RENDU PUBLIC A KINSHASA, LE 29 MARS 2002
INTRODUCTION
Du 19 au 24 mars 2002, une mission de Journaliste en danger (JED) composée de M’Baya Tshimanga (président) et Esther Banakayi (chargée des programmes) a séjourné dans la ville de Mbuji-Mayi, capitale de la province du Kasaï oriental, à 1000 Km de Kinshasa au centre de la République démocratique du Congo (RDC).
Une centaine de journalistes des radios et télévisions communautaires s’y trouvaient pour la réunion nationale de l’ARCO (Association des radios communautaires du Congo). Ces journalistes venaient des provinces sous contrôle du gouvernement de Kinshasa : Kinshasa, Bas-Congo, Bandundu, Katanga, Kasaï oriental et Kasaï occidental.
La radiotélévision dite communautaire est une réalité récente en RDC. Déjà , près de 100 radiotélévisions communautaires sont opérationnelles à la faveur de la loi N° 002/96 du 22 juin 1996 qui a mis fin au monopole de l’Etat dans le domaine audiovisuel. En effet, l’article 51 de ladite loi stipule : « La communication audiovisuelle est libre. Toute personne physique ou morale a le droit de produire, transmettre, recevoir tous les produits de la communication audiovisuelle tels qu’énumérés à l’article précédent et d’y participer sous réserve de l’ordre public, des droits d’autrui et des bonnes mœurs ». L’article 56 de la même loi précise que « toute personne physique ou morale peut procéder à l’exploitation en matière de radiodiffusion sonore et de télévision moyennant dépôt obligatoire d’une déclaration préalable auprès du membre du gouvernement ou du collège exécutif régional ayant l’information et la presse dans ses attributions ».
C’est fort de ces dispositions légales que 95 % des radios et télévisions associatives ou communautaires ont vu le jour en RDC et que d’autres ont, en plus de leurs émissions traditionnelles sur des questions de développement, embrassé le secteur de l’information. Définis comme étant des médias mis sur pieds par des associations sans but lucratif ou communautés locales, les radios communautaires sont, à ce jour, menacées de disparition parce qu’elles dérangent et mettent fin à la langue de bois développée par l’audiovisuel public. Installées pour la plupart dans des milieux ruraux ou semi ruraux, ces médias, symbole du pluralisme médiatique, sont soumis à des tracasseries administratives, policières et fiscales qui ne leur laissent qu’une seule alternative : disparaître.
Ces tracasseries, oeuvre des services publics de l’Etat ou des personnes agissant en son nom, n’en constituent pas moins des attaques à la liberté d’informer et d’être informé telle que consacrée par l’article 19 de la déclaration universelle des droits de l’homme.
1. Des tracasseries administratives
Comme énoncé dans l’exposé des motifs de la loi N° 002/96 portant modalités de l’exercice de la liberté de la presse en RDC, le souci du législateur de 1996 était de supprimer l’autorisation préalable du gouvernement, via le ministère de l’information, pour mettre sur le marché un journal ou ouvrir une radio ou télévision. Dans la pratique, la procédure est restée la même. Elle n’a changé que d’appellation. L’autorisation préalable s’appelle désormais déclaration préalable.
Toute personne physique ou morale désireuse d’ouvrir une radio ou télé, qu’elle soit commerciale ou de type ASBL, doit :
1. Payer 50 $US pour obtenir un formulaire du ministère des Postes et télécommunications ;
2. Payer 200 $US comme frais d’étude du dossier à l’administration du ministère des Postes et télécommunications ;
3. Obtenir une attestation de conformité de l’ANR (Agence nationale de renseignement, Police politique) qui vérifie « la citoyenneté de l’impétrant ». Cette étape dite capitale n’apparaît nulle part dans la loi sur la presse;
4. Payer la somme de 2000 $US au Ministère des Postes et Télécommunications pour obtenir la fréquence et la licence d’exploitation ;
5. Payer 5000 $US au Ministère de la Communication et Presse pour obtenir une lettre appelée « récépissé » signée par le Ministre et qui autorise le fonctionnement de la radio ou télé. Ce document n’est pas différent de l’autorisation préalable pourtant supprimée par l’actuelle loi sur la presse ;
6. Les radiotélévisions installées en provinces sont obligées de payer, en plus des frais ci-dessus, des frais dits « additionnels » de l’ordre de 1000 $US.
7. Autorisation de Kinshasa (Ministère de la Communication et Presse) pour accéder aux sources d’informations officielles ;
8. L’exigence d’un quitus de la chaîne publique pour diffuser une information sur le gouvernement, obtenue de source indépendante ;
9. Signature d’un cahier des charges dont certaines dispositions violent l’esprit et la lettre de la liberté d’opinion et d’expression telle que stipulée par l’article 19 de la DUDH ;
Au bas mot, pour installer une radiotélévision associative ou communautaire en RDC, il faut débourser au bas mot 8. 250 $US.
2. Des tracasseries fiscales
En tant qu’ Association sans but lucratif (ASBL), les radios et télévisions communautaires ou associatives, sont, de part la loi congolaise exemptées des impôts. Dans la pratique et surtout en province, ces médias sont soumis à un harcèlement fiscal que ne justifie que la volonté de les mettre au pas à défaut de les faire taire.
Quelques exemples parmi tant d’autres :
– Prélèvement de 10 % sur chaque annonce publicitaire au bénéfice de la commission de conformité qui fonctionne au Ministère de la communication ;
– Prélèvement de 5% sur chaque annonce publicitaire au bénéfice du FPC (Fonds de promotion culturelle) ;
– Paiement d’une provision annuelle de 10.000 $US à la SONECA (Société nationale des éditeurs, compisiteurs et auteurs) qui gère les droits d’auteur. Pour avoir refusé de payer à la SONECA, la radio communautaire de Moanda (province du Bas-Congo) a été traînée en justice ;
– Paiement des frais à la DGRAD (Direction générale des recettes administratives et domaniales). Ces frais qui sont payés au niveau de Kinshasa via le Ministère de la Communication, sont à la base d’un conflit entre la DGRAD en provinces et les divisions provinciales de la communication et presse ;
– Paiement à la DGC (Direction générale des contributions, direction des impôts) de la contribution sur le chiffre d’affaire (CCA) et de l’impôt sur les revenus alors que le personnel de ces médias travaille bénévolement . La radio TOMISA (ville de Kikwit, province de Bandundu) est sommée de payer des pénalités de l’ordre de 1.426 $US au titre de CCA.
– Paiement de la sécurité sociale à l’INSS (Institut national de sécurité sociale)
3. Des tracasseries policières
Comme à Kinshasa, les journalistes des radios et télévisions communautaires sont, dans l’exercice de leur métier, l’objet de moult tracasseries policières de la part des services d’ordre ou de sécurité et de l’armée. La moindre critique du gouvernement ou des autorités locales ou les voix discordantes de ces médias très prisés à l’intérieur du pays face à la langue de bois des médias publics dérangent le monopole que cherche à maintenir la chaîne publique avec la complicité souvent tacite des autorités locales. A l’instar de Kinshasa, le pouvoir civil est soumis au militaire et sécuritaire. Chaque fois qu’elles sont appellées à s’expliquer, les autorités civiles se retranchent derrière le fait qu’elles sont « dans des zones opérationnelles ». Entendez, non loin des lignes de front de la guerre qui sévit en RDC depuis 4 ans bientôt.
Quelques exemples qui illustrent les attaques portées contre la liberté d’informer et d’être informé en provinces :
Badylon Kawanda, journaliste à la radio diocésaine TOMISA émettant de Kikwit (province de Bandundu) est interpellé, le 10 juin 2001, par des agents de l’ANR (Agence nationale de renseignements) alors qu’il recueillait, au marché central de la ville, les avis de la population (vox pop) sur la première visite à Kikwit du président Joseph Kabila. Il a été conduit et enfermé dans un local de la 62 ème brigade des Forces armées congolaises (FAC). Le journaliste a été libéré dans la journée après que sa radio ait menacé de ne pas couvrir la visite du chef de l’Etat. Le même journaliste avait été interpellé au mois d’avril et gardé toute la journée parce qu’il voulait couvrir une causerie morale des militaires de la garnison de Kikwit.
Toujours à Kikwit, Narcisse Mungeye, directeur de la radio TOMISA a été interpellé, en décembre 2001, par des agents de la DGM (Direction générale des migrations) et interrogé pendant trois heures. La radio TOMISA avait retransmis en direct une messe au cours de laquelle l’officiant, un prêtre congolais, avait, dans son homélie, cité Mobutu Sese seko et Laurent-Désiré Kabila. Pour les agents de la DGM, ces allusions insinuaient que l’actuel président, Joseph Kabila, n’était pas différent de ses prédécesseurs.
Dans la province du Katanga, plus précisément à Kolwezi, Edouard Nawej, Carlos Ngombe et Nalva Nawej, journalistes à la Radiotélévision MUTOSHI, avaient été arrêtés, du 22 au 28 janvier 2002, par des agents de l’ANR/Kolwezi. La RT MUTOSHI avait rediffusé, le 15 janvier 2002, une émission à téléphone ouvert datant de l’année 2000 au cours de laquelle un militant des droits de l’homme avait déclaré que les agents de l’ANR, excepté le chef de poste, n’avaient pas qualité d’officier de police judiciaire (OPJ).
A Lubumbashi, capitale de la province du Katanga, les services de l’ANR ont confisqué, de fin décembre 2001 au 10 février 2002, le matériel de retransmission de la radiotélévision Africa Mosaïque (RTAM) à la demande de la direction provinciale de la chaîne publique RTNC (Radiotélévision nationale congolaise). La RTAM avait annoncé à ses téléspectateurs la retransmission en direct de tous les matches de la CAN 2002. C’est à l’issue de cette compétition continentale que ledit matériel a été restitué mais dans un état déplorable, à en croire les journalistes de cette chaîne.
En province, tous les journalistes présents à Mbuji-Mayi ont dénoncé le monopole de fait que la RTNC continue à imposer en ce qui concerne l’information officielle. Pour cela, elle bénéficie du soutien des autorités locales et des services d’ordre et de sécurité. A Kananga, les radios communautaires ne peuvent diffuser une information officielle avant la chaîne publique ou sans son quitus exprès.
Dans la même ville de Kananga, au mois de juillet 2001, soit un mois avant la première visite officielle du président Joseph Kabila, des agents de l’ANR auraient été déployés dans les rédactions des radios communautaires. Ils avaient pour mission de « jeter un regard sur toute information avant sa diffusion ». Ces censeurs avaient tenté de faire le même travail dans certains journaux indépendants de Kinshasa mais y avaient renoncé quand la rédaction du quotidien Le Potentiel avait exigé une note des responsables de la sécurité spécifiant le but de cette mission.
A Moanda dans la province du Bas-Congo, Vital Mfulani-wu-Luvuezo, journaliste à la RCM (Radio communautaire de Moanda) et animateur de l’émission « La rétrospective de la semaine » a été cité, à comparaître le 15 janvier 2002 pour imputations dommageables et diffamation à l’endroit d’un certain Mbola Nico, agent du service de cadastre à Moanda. Le journaliste avait parlé, dans son émission, des actes d’escroquerie dans la vente des parcelles perpétrés par des agents du cadastre. L’affaire a été prise en délibéré le 8 mars 2002.
A Mbuji-Mayi dans la province du Kasaï oriental, le cas le plus flagrant est celui de Crispin Kalala Mpotoyi, directeur de la Radiotélévision Débout Kasaï (RTDK). Il a été arrêté, le 10 octobre 2001 et remis en liberté provisoire, le 13 octobre 2001, après avoir payé une caution de 500 $US (Cinq cents dollars américains). Son émission en langue locale « Diamant dia mu Kasaï » est suspendue jusqu’à ce jour. Il était reproché à Crispin Kalala « la diffamation à l’endroit des autorités politiques et militaires ainsi que des dirigeants des sociétés d’exploitation du diamant MIBA (Minière de Bakwanga) et SENGAMINES (Une société privées d’exploitation du diamant appartenant à des Zimbabwéens).
Crispin Kalala avait, dans son émission, dénoncé, entre autres, les pillages systématiques du diamant dont les revenus ne profitent pas aux populations locales. Celles-ci manquent jusqu’à l’eau potable et l’électricité. Le journaliste avait été arrêté par des éléments des Services spéciaux de la Police nationale congolaise (PNC), et conduit au cachot du parquet général de Mbujimayi avant d’être acheminé à la Prison centrale de la ville.
4. Recommandations
Eu égard à tout ce qui précède, JED fait les recommandations suivantes :
Au gouvernement
– La suppression pure et simple des 5.000 $US exigés par le ministère de la communication et presse pour l’obtention d’un récépissé qui donne droit d’ouvrir une radio, fut-elle associative ou communautaire ;
– L’allègement sensible de la taxe de 2.000 $US exigés par le ministère des Postes et télécommunications pour l’octroi des fréquences et de la licence d’exploitation ;
– La suppression pure et simple des taxes de 50 $US et 200 $US exigés par le ministère des Postes et télécommunications pour le formulaire et les frais d’étude du dossier étant entendu que le même service ne peut être payé deux fois à la même administration ;
– La suppression de l’attestation de conformité de l’ANR ;
– La suppression de la taxe de 1.000 $US exigée en province par les divisions provinciales de la communication et presse, particulièrement dans la province du Katanga ;
– La suppression du cahier des charges qui retire de la main gauche ce que la loi donne de la main droite en terme de liberté de la communication audiovisuelle ;
– La fin de la discrimination entre les médias publics et ceux privés ou communautaires et associatifs quant à l’accès aux sources d’information officielles ;
– La réaffirmation, surtout en province, de la fin du monopole de la RTNC consacrée par la loi N° 002/96 du 22 juin 1996;
– Accorder le caractère de service d’utilité publique aux radios et télévisions associatives ou communautaires et par conséquent, les dispenser du paiement des innombrables impôts et autres taxes (CCA, Contribution sur les revenus, SONECA, DGRAD, etc .) ;
– L’arrêt des interpellations et autres harcèlement des journalistes et animateurs des radiotélévisions communautaires ou associatives par des agents de l’ANR, la DGM, l’armée, etc.
Aux radios et télévisions associatives et communautaires
– L’unité dans l’ARCO (Association des radios communautaires du Congo) pour défendre leurs droits ;
– L’élaboration des statuts clairs de leurs associations et communautés qui mettent en exergue leur caractère d’association sans but lucratif ;
– La formation de leurs journalistes non seulement sur le plan des techniques d’information mais aussi sur leur droits et devoirs en tant que journalistes ;
– La solidarité avec tous les journalistes dans la défense de la liberté de la presse ;
Fait à Kinshasa, le 29 mars 2002
D. M’Baya Tshimanga
Président
Esther Banakayi
Chargée des programmes