Les attaques contre les médias continuent (JED/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de JED, daté du 22 juillet 2001 : Journée congolaise de la presse Les attaques contre les médias continuent en République démocratique du Congo (RDC) Au moment où les journalistes et toute la communauté congolaise célèbrent la journée nationale de la presse, […]
Les attaques contre les médias continuent
(JED/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de JED, daté du 22 juillet 2001 :
Journée congolaise de la presse
Les attaques contre les médias continuent en République démocratique du Congo (RDC)
Au moment où les journalistes et toute la communauté congolaise célèbrent la journée nationale de la presse, fixée, chaque année, au 22 juillet, la République démocratique du Congo (RDC) présente une des plus mauvaises fiches en matière de liberté de la presse en Afrique et dans le monde.
Le cas de Freddy Loseke Lisumbu la Yayenga, éditeur du journal La Libre Afrique, est, certes, le seul d’un membre de la corporation qui croupit en prison au moment de cette commémoration. Mais ce modeste chiffre, en ce qui concerne les cas d’emprisonnement des journalistes, ne reflète pas du tout la réalité de la situation de violations de la liberté de la presse dans notre pays.
Pour ne prendre que les six derniers mois, c’est-à -dire depuis l’avènement au pouvoir d’Etat en RDC du général-major Joseph Kabila, en janvier 2001, Journaliste en danger (JED), organisation non gouvernementale de défense et de promotion de la liberté de la presse, a dénombré quelque 38 cas d’attaques contre la presse. Ce qui fait une moyenne d’au moins 6 atteintes à la liberté de la presse chaque mois.
Parmi ces violations, qui sont essentiellement le fait des détenteurs du pouvoir politique et économique, JED a dénombré 6 cas d’emprisonnements, 8 cas d’interpellation, 10 cas d’agressions et/ou menaces, 4 cas d’entraves à la libre circulation de l’information, 5 cas de censure et de confiscation des médias ainsi que 5 cas de pressions judiciaires.
Alors que notre organisation se félicitait de la fermeture annoncée, le 8 mars 2001, des cachots illégaux dans lesquels les journalistes sont souvent enfermés, plusieurs lieux de détention qui ne dépendent pas de l’autorité du parquet sont toujours fonctionnels. A titre d’exemple, Guy Kasongo Kilembwe, rédacteur en chef du journal satirique Pot-Pourri, a passé une bonne partie de ses 23 jours de détention, en février et mars 2001, dans des cachots de l’Agence nationale de renseignements (ANR), après la décision de fermeture desdits cachots. Un autre journaliste, Joachim Diana Gikupa, directeur de publication du quotidien L’Avenir, a été enfermé pendant 8 jours, en juin 2001 dans un cachot de l’ANR.
Les agressions et menaces contre les journalistes se sont également amplifiées. Des agents des services de sécurité et de l’ordre ne s’empêchent toujours pas de faire irruption nuitamment à des résidences des journalistes pour les appréhender. Ainsi, une dizaine de soldats ont envahi, le 26 mars 2001, à 1h00 du matin, le domicile de Mukebayi Nkoso, directeur de publication du bihebdomadaire The Post, paraissant à Kinshasa. Mukebayi n’a eu la vie sauve que parce qu’il était absent de chez lui en ce moment-là .
La priorité de la presse et le droit du journaliste à accéder à l’information sont fréquemment bafoués. Ce qui fait que des agents de la Police nationale congolaise (PNC) et de divers services de renseignements se sont permis d’empêcher aux journalistes de couvrir, le 23 avril 2001, à l’aéroport international de Kinshasa/N’Djili, le retour au pays de M. Etienne Tshisekedi wa Mulumba, président national du parti politique de l’opposition l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Une vingtaine de journalistes ont été séquestrés, enfermés, dans un hangar de l’aérogare jusqu’au départ du cortège de M. Tshisekedi de l’aéroport. La même scène s’est répétée plus tard lors du passage à Kinshasa du président nigérian Olusegun Obasanjo.
Cas scandaleux : la chaîne privée de radiodiffusion et de télévision Radio Télévision Kin Malebo (RTKM), propriété du journaliste et homme politique congolais Aubain Ngongo Luwowo, est toujours confisquée par le gouvernement. La commission mise en place par le ministre de la communication et presse, Kikaya bin Karubi, au lendemain de la journée mondiale de la liberté de la presse, en vue de statuer sur la légalité de la décision de confiscation de RTKM, prise par son prédécesseur Dominique Sakombi Inongo, a terminé ses travaux et aucun compte-rendu n’en est fait.
En violation de la loi qui fixe les modalités de l’exercice de la liberté de la presse, les médias publics sont monopolisés par une seule opinion, celle du pouvoir. Les médias audiovisuels privés, qui tentaient de donner un autre son de cloche, sont régulièrement mis au pas. En guise d’illustration : une bande vidéo contenant une interview que M. Etienne Tshisekedi a accordée, le 24 avril 2001, à la chaîne privée de télévision RAGA TV – dans le cadre de son émission « À vous la parole » – est confisquée depuis environ 3 mois au cabinet du président de la RDC à Kinshasa. Cette interview, qui devait être diffusée le dimanche 29 avril, ne l’a jamais été jusqu’à ce jour. D’après des informations parvenues à JED, cette bande est détenue par un haut responsable de la présidence de la République qui l’aurait fait visionner à des membres du gouvernement dont le ministre de la Communication et de la Presse.
D’autre part, la police des frontières à l’aéroport de Kinshasa/N’Djili empêchent toujours aux passagers de sortir de la RDC avec des journaux paraissant dans la capitale. Des cas de rafle des journaux vendus à la criée dans les rues de Kinshasa sont toujours signalés. Le dernier cas en date est celui des agents de la Police nationale congolaise (PNC) qui ont procédé, le 9 juillet 2001, à une rafle systématique des journaux sur le boulevard du 30 juin, à Kinshasa/Gombe. Les policiers précités étaient porteurs d’un document de leur hiérarchie interdisant la vente, sur la voie publique, des denrées alimentaires et autres articles du commerce de détail.
Pour sévir contre la presse tout en faisant une fausse figure de légaliste, les détenteurs du pouvoir politique intentent de plus en plus des procès à des journalistes. La tactique est simple : le journaliste est cité à comparaître directement devant un juge alors que des escouades d’hommes armés sont mis à ses trousses pour l’arrêter. Il se met en clandestinité et il est condamné par défaut à des peines de prison ferme et au paiement de fortes amendes. Ainsi, par un jugement rendu le 16 mars 2001, le Tribunal de Paix de Kinshasa/Gombe a condamné par défaut, pour diffamation, Jean-Luc Kinyongo Saleh, éditeur du bihebdomadaire Vision paraissant à Kinshasa, à 4 mois de prison et au paiement de 500.000 FC (équivalant, à l’époque, à 2.500 USD au taux réel) de dommages et intérêts au ministre d’Etat en charge de l’Intérieur, Gaëtan Kakudji. Réconforté par le fait qu’un rapport de l’ONU et un autre journal ont confirmé les allégations pour lesquelles il a été condamné, le journaliste a formé opposition; mais, depuis lors, les cours et tribunaux ne semblent plus pressés de statuer sur l’affaire.
Dans l’autre revers de la médaille, JED est conscient du fait que les journalistes, pour leur part, ne sont pas tous des enfants de chœur. C’est ainsi que notre organisation a toujours appelé à la mise en place d’une structure de régulation de la presse, indépendante du pouvoir public, en l’occurrence le Conseil national de la presse, souhaité par les états généraux de la communication de mai 1995. Cette structure éviterait, certainement, la multiplication des procès des journalistes car ces derniers auraient pour premier juge la juridiction de leurs pairs. Il est, en effet, plus acceptable que le journaliste qui commet des dérives se voie sanctionné par ses confrères que mis en prison par les détenteurs du pouvoir.
Aussi, le manque de dispositions légales, précises et strictes sur l’accession à la qualité de journaliste fait qu’à l’heure actuelle, notre profession est envahie par des personnes qui prennent trop de liberté avec des règles universelles et qui font la honte de ce noble métier. En termes clairs, on devrait reposer la question de savoir qui est journaliste et qui ne l’est pas.
En marge de la commémoration de la journée nationale de presse pour l’année 2001, JED recommande au pouvoir :
– d’ordonner immédiatement la libération de Freddy Loseke Lisumbu la Yayenga;
– de revoir le cadre juridique de l’exercice de la liberté de la presse en dépénalisant le délit de presse et en fermant réellement les cachots illégaux;
– de tout mettre en œuvre pour l’avènement du Conseil national de la presse, autorité morale qui devra, entre autres, délivrer et retirer la carte de presse;
– de restituer RTKM à son propriétaire et de prévoir le dédommagement de ce dernier pour le préjudice subi.
JED recommande aux journalistes :
– de respecter les règles universelles d’éthique et de déontologie professionnelles, en faisant montre de plus de professionnalisme et de responsabilité dans l’exercice de leur métier, afin de ne pas donner des prétextes aux prédateurs de la liberté de la presse.
Fait à Kinshasa, le 22 juillet 2001
D. M’Baya Tshimanga
Président
Mwamba wa ba Mulamba
Secrétaire général