Au moins une personne a été tuée et plus de 130 autres blessées lors de manifestations d’Autochtones la semaine dernière dans plusieurs départements de Colombie. Mais avec les multiples violations de la liberté de la presse qui sont commises, il serait difficile de comprendre ce qui se passe. Les groupes de médias de la communauté […]
Au moins une personne a été tuée et plus de 130 autres blessées lors de manifestations d’Autochtones la semaine dernière dans plusieurs départements de Colombie. Mais avec les multiples violations de la liberté de la presse qui sont commises, il serait difficile de comprendre ce qui se passe.
Les groupes de médias de la communauté autochtone du département de Cauca se sont plaints récemment que plusieurs de leurs sites web étaient bloqués, et une station locale de radio communautaire rapporte des pannes de courant suspectes – au moment où les communautés autochtones protestent afin de protéger leurs droits fondamentaux, selon ce que rapporte la Fondation pour la liberté de la presse (FLIP), le groupe membre de l’IFEX en Colombie.
Des milliers d’Autochtones de Colombie, surtout dans le sud-ouest et le nord-ouest, se sont mobilisés la semaine dernière autour d’un plan en cinq points. Ce plan appelle au rétablissement de leurs droits territoriaux tels qu’ils sont énoncés par la Commission interaméricaine des droits de l’homme, et les rassemble dans leur opposition à l’entente de libre-échange entre la Colombie et les États-Unis, le Canada et l’UE, et contre la militarisation croissante du pays par le gouvernement et les paramilitaires.
Dans le cadre des protestations, les groupes autochtones ont bloqué plusieurs routes la semaine dernière, notamment l’autoroute panaméricaine, principal axe nord-sud du pays, en quatre endroits au moins, entre la troisième ville en importance de la Colombie, Cali, et la ville de Popayán, à 135 kilomètres au sud.
Ils se sont toutefois heurtés à la répression. De violents affrontements ont éclaté les 14 et 15 octobre entre les manifestants et des agents de sécurité, lorsque ceux-ci ont tenté de rouvrir l’autoroute, alors qu’ils auraient ouvert le feu dans la foule et qu’ils auraient agressé des manifestants en les aspergeant de gaz lacrymogènes et de grenades à main. D’après l’Organisation autochtone nationale de Colombie (ONIC), les affrontements ont fait un mort et plus de 130 blessés, dont un grand nombre grièvement.
Le même jour, les sites web de l’Association des Conseils autochtones du nord-Cauca (ACIN) et le Conseil autochtone régional du Cauca (CRIC), deux des principales organisations qui se sont mobilisées par l’entremise de leurs propres médias, sont en panne, rapporte la FLIP.
Le CRIC a dit à la FLIP que son site web avait été en panne pendant plus de 12 heures, jusqu’à ce que les employés en eurent transféré temporairement le contenu sur un autre serveur. Selon le CRIC, « c’est une grande coïncidence que le site web se soit écrasé exactement au même moment où les manifestations ont commencé ». Les sites web du CRIC et de l’ACIN sont déjà tombés en panne lors de manifestations.
Plusieurs stations de radio se sont fait couper l’électricité pendant qu’ils retransmettaient des informations sur les manifestations. La station de radio « La Libertad », basée dans la municipalité de Totoró, a déclaré que les pannes de courant sont fréquentes dans la région. « Cela nous semble suspect cependant, parce que c’est arrivé à plusieurs reprises lorsque nous radiodiffusions ce genre d’information », ajoute « La Libertad ».
Certaines sources dans le Cauca ont dit à la FLIP qu’elles croyaient que l’obstruction faite aux médias indépendants pourrait viser à empêcher la diffusion d’allégations de recours à une force excessive par les forces de sécurité lors des manifestations.
Par ailleurs, les journalistes qui couvraient les manifestations ont exprimé de l’inquiétude en ce qui concerne leur sécurité. « Nous sommes dans la ligne de tir », a indiqué un journaliste à la FLIP.
D’après Reporters sans frontières (RSF), des journalistes étrangers ont été interceptés et interrogés, voire expulsés pour avoir « participé à des activités politiques ». Un journaliste français qui prévoyait documenter les manifestations de protestation dans la vallée du Cauca, Julien Dubois, a été détenu le 13 octobre, expulsé le lendemain et interdit de séjour en Colombie pour cinq ans.
La Colombie a une longue tradition de projets de médias citoyens communautaires, constamment présents pour offrir une lecture alternative au discours des médias d’entreprise. Ces médias sont reliés à un vaste réseau de médias nationaux alternatifs (comme « Indymedia-Colombie » et le SICO, entre autres). Mais, comme l’a conclu le PEN International lors de son récent Congrès mondial à Bogotá, leurs perspectives sont rarement entendues sur les chaînes grand public, qui présentent souvent sans le moindre filtre les positions des autorités officielles.
Les médias de masse se font surtout l’écho de la perspective du gouvernement : les manifestations ont été infiltrées par des « éléments déstabilisateurs » – à savoir les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Les protestataires rejettent ces accusations.
Le gouvernement d’Álvaro Uribe continue de faire ce lien, non corroboré, afin d’éviter tout dialogue avec les communautés. Cette allégation ne ressort dans aucun reportage que ce soit, ce qui laisse l’auditoire dans un état permanent de désinformation », a déclaré Mario A. Murillo, un professeur respecté de l’Université Hofstra de New York, qui documente sur son blogue les protestations en Colombie.
« Les prétentions du gouvernement… sont presque devenues des clichés ces derniers jours à cause de la capacité du gouvernement Uribe à déterminer l’ordre du jour, à présenter ses arguments devant les journalistes nationaux avec indignation et autorité, et à se présenter encore une fois en victime », a-t-il ajouté.
À certains égards, les groupes autochtones défient les probabilités et réussissent à obtenir des appuis à l’échelon international et à faire que les autres groupes de défense des droits en prennent avis. Une lettre ouverte exigeant l’envoi en Colombie d’une mission internationale, adressée au premier ministre du Canada, Stephen Harper, a déjà recueilli plus de 150 signatures, dont certaines de groupes des Premières Nations du Canada.
Par ailleurs, au moins 12 000 Autochtones ont entrepris le 21 octobre une marche entre La Maria, dans le Cauca, et Cali, afin de maintenir la pression sur le président Uribe pour qu’il s’intéresse à leurs préoccupations. Ils se sont juré de continuer à marcher jusqu’à Bogotá s’il ne se présente pas. En dépit de discussions pendant le week-end avec trois ministres et de la promesse d’Uribe d’acheter des terres pour les peuples autochtones, aucune entente n’est intervenue entre eux et le gouvernement.
La Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) rappelle que les protestations surviennent dans un contexte général de violations graves, systématiques et répétées des droits des peuples autochtones de Colombie. D’après la FIDH, au cours du dernier mois, 29 Autochtones ont été tués dans le pays, et au cours des six dernières années, plus de 1 240 Autochtones ont été assassinés et au moins 53 885 autres ont été déplacés.
Consulter les sites suivants :
– FLIP : http://ifex.org/en/content/view/full/97745/
– RSF : http://ifex.org/fr/content/view/full/97759/
– PEN International : http://tinyurl.com/5ourg7
– Blogue de Mario A. Murillo, avec le texte « Les représentations par les médias des mobilisations populaires ne tiennent pas compte du message du mouvement » : http://mamaradio.blogspot.com
– Déclaration du Président Uribe (15 octobre) : http://tinyurl.com/6czykk
– FIDH : http://tinyurl.com/6ojjsd
– ACIN : http://nasaacin.org
– CRIC : http://www.cric-colombia.org/
– ONIC : http://www.onic.org.co/
– Indymedia-Colombie : http://colombia.indymedia.org/
(Photo : Des manifestants bloquant l’autoroute Panaméricaine la semaine dernière affrontent les forces de sécurité. Luz Edith Cometa/nasaacin.org)
(22 octobre 2008)