L’arrestation la semaine dernière de deux reporters locaux pour « abus de pouvoir » parce qu’ils auraient prétendument mal rapporté un important scandale de corruption a conduit à une confrontation inhabituelle entre le gouvernement du Viêt nam et les journaux du pays contrôlés par l’État, selon ce que rapporte l’Alliance de la presse de l’Asie […]
L’arrestation la semaine dernière de deux reporters locaux pour « abus de pouvoir » parce qu’ils auraient prétendument mal rapporté un important scandale de corruption a conduit à une confrontation inhabituelle entre le gouvernement du Viêt nam et les journaux du pays contrôlés par l’État, selon ce que rapporte l’Alliance de la presse de l’Asie du Sud-Est (Southeast Asian Press Alliance, SEAPA).
Nguyen Van Hai, du journal « Tuoi Tre » (« Jeunesse ») et Nguyen Viet Chen, du journal rival « Thanh Nien » (« Jeunes Gens ») ont révélé en 2005 une histoire concernant des cadres supérieurs du gouvernement qui auraient détourné des fonds pour parier sur des matchs de football européen. L’histoire a mené en 2006 à la démission du ministre des transports et d’autres hauts responsables. Nguyen Van Hai et Nguyen Viet Chen pourraient rester jusqu’à quatre mois en détention pendant que les autorités enquêtent, indique Reporters sans frontières (RSF).
Les journaux vietnamiens ont en général une attitude respectueuse envers le gouvernement, qui contrôle la plupart des médias du pays. Mais les arrestations de la semaine dernière ont déclenché un déluge de protestations de la part des journalistes et des blogueurs, qui ont dit que leur détention aurait pour effet de décourager le couverture agressive des affaires de corruption.
« Les journalistes honnêtes doivent être libérés », pouvait-on lire en manchette dans le « Thanh Nien », publication porte-étendard de la Fondation nationale de la jeunesse du Viêt-nam, où travaillait Nguyen Viet Chen jusqu’à son incarcération. Le journal exige sa libération sous caution, rapporte la SEAPA.
« Tuoi Tre », a publié le 14 mai un article dans lequel il dit avoir été inondé d’appels téléphoniques, de courriels et de lettres de citoyens en colère protestant contre le geste du gouvernement – soit le plus grand nombre qu’il ait reçu en 33 ans de publication.
L’édition anglaise de Vietnam.net a souligné cette histoire et a demandé des opinions essentiellement favorables de la part de politiciens, de juristes et de leurs collègues journalistes. Duong Trung Quoc, député à l’Assemblée nationale, a été intrigué et s’est demandé pourquoi le gouvernement « tirait sur le messager » tout en menant une campagne de lutte contre la corruption.
Les arrestations mettent également en lumière la tendance troublante qu’ont les autorités à détenir, harceler et emprisonner les journalistes au Viêt-nam au moyen des lois pénales et sur la sécurité nationale, font remarquer le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) et RSF.
Le 13 mai, Somsak Khunmi (Nguyen Quoc Hai), journaliste d’expérience, adjoint aux nouvelles et collaborateur de Chan Troi Moi (Radio New Horizon), a été condamné à neuf mois de prison pour terrorisme. Il était détenu depuis novembre dernier, tout comme le reporter franco-vietnamien Nguyen Thi Thanh Van et un groupe de militants politiques qui travaillaient pour le parti pro-démocratie Viet Tan (Parti de la Réforme du Viêt-nam). Nguyen a été libéré en décembre à la suite de pressions internationales.
Selon les autorités, Somsak est détenu parce qu’il a tenté de distribuer des tracts en faveur de la démocratie, ce qui constitue une violation du code pénal du Viêt-nam. Mais le CPJ croit que sa détention a davantage à voir avec ses reportages et ceux de Nguyen sur une manifestation de protestation qu’ont tenue précédemment à Ho Chi Minh Ville des fermiers lésés expulsés de leurs terres par les autorités de l’État.
Un blogueur qui est aussi dissident et avocat, Bui Kim Thanh, a subi un sort semblable pour avoir défendu des fermières dépouillées de leurs domiciles par des prises de possession illégales de terres, indique le Comité des écrivains en prison du PEN International (WiPC). La police a fait irruption dans sa maison en mars et l’a détenue – pour la deuxième fois – dans un hôpital psychiatrique.
Aussi en mars, le journaliste pigiste Truong Minh Duc, membre du mouvement pro-démocratie Bloc 8406, interdit, s’est vu infliger une peine de cinq ans de prison pour avoir « profité des droits démocratiques afin d’agir contre les intérêts de l’État » et avoir « reçu de l’argent de l’étranger pour soutenir des plaintes contre l’État », rapporte RSF. Truong publiait souvent, dans des journaux et des sites web du Viêt-nam et de l’étranger, des articles sur la corruption et l’abus de pouvoir par les autorités.
Les Jeux de Pékin représentent aussi un point chaud au Viêt-nam. Selon RSF, un site web du gouvernement vietnamien a affirmé que le premier ministre Nguyen Tan Dung avait lancé un appel à la « sécurité absolue » pendant le relais du flambeau olympique à Ho Chi Minh Ville et mis en garde les « forces hostiles » qui étaient prêtes à troubler la paix.
Un important blogueur qui affichait sur son blogue des articles sur les manifestations survenues partout dans le monde contre les Olympiques a été soumis à une étroite surveillance policière puis arrêté quelques jours à peine avant le passage du flambeau à Ho Chi Minh Ville parce qu’il avait participé à des protestations contre la politique chinoise, rapporte RSF. Nguyen Hoang Hai, mieux connu sous son pseudonyme de blogueur de Dieu Cay, a été inculpé de fraude fiscale, un « prétexte pour empêcher l’un des blogueurs les plus influents de la Toile vietnamienne de publier des articles critiques envers le gouvernement », dit RSF.
Et le journaliste américain Le Hong Thien a été arrêté par la police de sécurité à Ho Chi Minh Ville tandis qu’il couvrait le passage de la flamme olympique, rapporte RSF. Thien est rédacteur en chef du magazine « Gia Dinh », basé aux États-Unis, reporter au « Viet Times Weekly » et collaborateur à « Radio New Horizon ». Il est actuellement en résidence surveillée au domicile de son frère, et on lui a confisqué son passeport. Il n’a encore été inculpé de rien.
D’après RSF, au moins neuf journalistes et cyberdissidents sont actuellement en prison au Viêt-nam.
Consulter les sites suivants :
– SEAPA : http://www.seapabkk.org/
– RSF, à propos de Dieu Cay : http://www.rsf.org/article.php3?id_article=27047
– RSF, à propos de Nguyen Van Hai, Nguyen Viet Chen et Le Hong Thien :
http://www.rsf.org/article.php3?id_article=27019
– RSF, à propos de Truong Minh Duc : http://www.rsf.org/article.php3?id_article=26382
– CPJ : http://tinyurl.com/4wyxxj
– WiPC : http://ifex.org/en/content/view/full/93095/
– Page de l’IFEX sur le Viêt nam : http://ifex.org/fr/content/view/full/594/
– Vietnam.net : http://tinyurl.com/3pbkq3
– AP, via ABC News : http://tinyurl.com/3zyuy3
(Photo : Un étudiant est bousculé par les forces de sécurité à Hanoï le 29 avril, quelques instants avant un rassemblement organisé pour protester contre l’étape vietnamienne du relais de la flamme olympique. Photo courtoisie du Réseau des Journlistes libéraux du Viêt-nam.)
(20 mai 2008)