(JED/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de JED daté du 3 mai 2006: Déclaration de Journaliste en danger (JED) a l’occasion de la célébration de la 16ème journée mondiale de la liberté de la presse Les medias ne peuvent contribuer a l’éradication de la pauvreté que s’ils sont libres, indépendants et sécurises Kinshasa, le […]
(JED/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de JED daté du 3 mai 2006:
Déclaration de Journaliste en danger (JED) a l’occasion de la célébration de la
16ème journée mondiale de la liberté de la presse
Les medias ne peuvent contribuer a l’éradication de la pauvreté que s’ils sont libres, indépendants et sécurises
Kinshasa, le 03 mai 2006
Le monde entier commémore, le 03 mai de chaque année, la Journée Internationale de la liberté de la presse. Cette liberté, corollaire du droit fondamental à la libre expression, est garantie par les articles 19 et 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, du Pacte International relatif aux droits civils et de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Cette année, il a plu à l’UNESCO de consacrer cette 16ème journée de la série aux rôles que les médias doivent jouer dans l’éradication de la pauvreté.
Le droit d’être à l’abri du dénouement et de la misère est l’un des défis majeurs de l’humanité. A en croire les statistiques de l’UNESCO, plus d’un milliard d’être humains à travers le monde vivent avec moins d’un dollar par jour. Plus de la moitié de ces nouveaux damnés de la terre vivent dans l’hémisphère Sud. Et le continent Africain bat le record de cette calamité qui menace la stabilité non seulement des pays pauvres mais aussi celle des pays riches. Cette menace qui n’épargne personne a poussé l’Assemblée générale des Nations Unies de désigner, dans la Déclaration du Millénaire adoptée en 2000, l’éradication de la pauvreté comme la principale priorité de la communauté internationale.
La République démocratique du Congo (RDC), pays doté par la nature des richesses immenses du sol et du sous sol, est pourtant classée parmi les pays les plus pauvres de la planète dont la population vit, justement, avec moins d’un dollar américain par jour, selon le palmarès du développement humain publié chaque année par les Nations Unies. En effet, alors que le pays est traversé par des cours d’eau de toutes les dimensions, des pans entiers des populations congolaises n’ont pas accès à l’eau potable et seuls 12% de la population ont accès à l’électricité. Aux larges de la côte de Moanda, des multinationales pompent quotidiennement des milliers de barils de pétrole brut pendant que la ville de Moanda ressemble à un gros village qui n’a de ville que le nom. Ce paradoxe est également visible à mille lieux dans les provinces du Kasaï où des milliers de carats de diamant sont extraits du sol sans que les populations locales ne puissent en bénéficier. Il en est de même de la province du Katanga, véritable eldorado du 21ème siècle, qui voit chaque jour sortir de son sol des minerais de toutes sortes alors que s’agrandit davantage l’armée des exclus de la société faite des chômeurs sans aucune perspective, des mendiants et des enfants de la rue. Ces paradoxes peuvent être multipliés à souhait dans chacune des provinces de la RDC.
La pauvreté en RDC n’est pas une fatalité. Toute analyse objective des causes de la pauvreté ambiante des congolais ne peut manquer de faire ressortir des maux tels que le déficit démocratique caractérisé par la confiscation du pouvoir et l’exclusion des populations locales de la gestion de la Cité, la mauvaise gouvernance de la Respublica dont les faits caractéristiques sont l’injustice dans la rétribution des richesses nationales, la corruption et la concussion qui n’émeuvent plus personne. Le tout est couronné par une impunité assurée au point où, l’échelle des valeurs se trouve totalement renversée dans tous les secteurs de la vie nationale. Résultats : les citoyens les plus malhonnêtes et les moins recommandables deviennent des « modèles » d’une jeunesse – avenir de demain – en manque de repères. « L’argent à tout prix et par tous les moyens » est devenu le leitmotiv de la société congolaise. L’éthique et la morale sont devenues les valeurs les moins partagées au point que la RDC est la risée du monde.
Face à ce tableau sombre, les médias et les journalistes congolais ont joué et ont encore un rôle à jouer aux côtés d’autres acteurs de la société. Les médias congolais peuvent contribuer efficacement à l’élimination de la pauvreté qui prend de l’ampleur au fil des jours. Pour cela, les médias doivent s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté par une information libre, diversifiée et responsable des populations des villes et des campagnes. Cette contribution des médias doit aussi se décliner au travers de sa mission de « chien de garde (watchdog) de la société » pour dénoncer la corruption et la concussion, les détournements des fonds publics, les violations des droits de l’homme, les abus de pouvoir et de biens sociaux, les contrats léonins signés à la pelle, l’exploitation illégale et sauvage des richesses naturelles nationales, les fraudes fiscales et douanières, la justice des plus forts et des plus riches, les mensonges et demi-vérités publics, etc.
Ce travail des journalistes ne peut être utile que si les politiques, la société civile et la justice l’accompagnent sincèrement et sans atermoiements funestes. A la suite de M. Koïchiro Matsura, Directeur Général de l’UNESCO, JED est convaincue que « le respect de la liberté de la presse et de l’indépendance des médias est une dimension essentielle de la lutte contre la pauvreté ». Cette liberté et cette indépendance des médias signifient également que ceux-ci puissent travailler en toute sécurité. En effet, à quoi aura servi d’informer les populations si, au finish, celles-ci n’ont pas droit à la parole, même sur des questions qui les concernent au premier chef, ou que leurs voix sont confisquées par des représentants autoproclamés? A quoi aura servi le travail de chien de garde de la société si les journalistes, après avoir fait leur travail, peuvent être assassinés ou se retrouver en prison au nom de l’impunité et d’une loi congolaise sur les imputations dommageables ou diffamation qui fait fi de la véracité ou de la fausseté des faits dénoncés? A quoi aura servi le travail des médias si ceux-ci peuvent voir leurs installations sabotées sans qu’aucune enquête judiciaire ne soit ouverte et que les auteurs ne soient sanctionnés conformément à la loi? Et que peut le journaliste face à un magistrat, qui pour survivre ou conserver son poste, se fait dicter la décision à prendre par des politiques ou ceux qui ont l’argent?
A quelques jours du démarrage de la campagne électorale, période hostile par excellence, Journaliste en danger (JED) constate, malheureusement, qu’il est de plus en plus dangereux d’exercer le métier de journaliste en RDC. Ces dangers ne sont pas simplement des rhétoriques. Ils ont divers visages en RDC. A titre illustratif:
– Le 03 novembre 2005, Franck Ngyke Kangundu, journaliste à la « Reference Plus », et son épouse Hélène Mpaka sont froidement assassinés à leur domicile de Limeté/Mombele. Six mois après, le procès n’a toujours pas commencé et on n’en sait pas plus sur l’évolution de la double enquête conduite simultanément par l’Auditorat Militaire de Kinshasa/Matete et le Parquet Général de la République
– Le journaliste Franck Ngyke a rejoint dans l’au-delà d’autres journalistes congolais assassinés et qui n’ont jamais eu droit ni à une enquête, ni à un procès. Il s’agit de: Pierre Kabeya, reporter du journal « Kin-Matin » tué le 8 juin 1994 à Kinshasa, Adolphe Kavula Missamba, directeur du journal « Nsemo », tué le 12 novembre 1994 à Kasangulu, Belmonde Magloire Missinhoun, directeur de « Le Point-Congo », porté disparu à Kinshasa depuis le 13 septembre 1998, et Acquitté Kisembo, interprète de l’envoyé spécial de l’AFP (Agence France Presse) à Bunia dans l’Ituri, porté disparu depuis le 03 juillet 2003.
– Quelques mois avant Franck Ngyke, le 28 mai 2005 à Lubumbashi, un journaliste de Radio Okapi, Jean Ngandu a échappé, par miracle, à une tentative d’assassinat devant son domicile alors qu’il revenait de son travail. Une enquête aurait été ouverte localement. Aujourd’hui, près d’une année après, aucune conclusion de cette enquête n’est connu.
– Au moment où la communauté internationale commémore la journée mondiale de la liberté de la presse, deux journalistes sont emprisonnés au CPRK (Centre Pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa). Il s’agit de Patrice Booto, directeur du journal « Le Journal ». Il est à son sixième mois d’emprisonnement. Il a été jugé par la défunte Cour de Sûreté de l’Etat qui n’a pas eu le temps de prononcer la sentence parce qu’elle a été dissoute du fait de la promulgation de la nouvelle constitution. Le journal avait reconnu qu’il avait publié une fausse information mettant en cause le président de la République dans un prétendu transfert d’argent vers la Tanzanie. Le deuxième journaliste, Kazadi Kwambi Kasumpata, emprisonné, depuis le 22 avril 2006, est un pigiste au journal « Lubilanji Expansion ». Il est poursuivi pour diffamation à l’endroit du recteur de l’Université Protestante du Congo.
– A Kisangani, Anselme Masua, journaliste de la Radio Okapi, qui enquêtait sur le recensement des éléments de la garde présidentielle (Garde Républicaine) dans le cadre de l’intégration dans une armée unique, a été battu, le 24 avril 2006, sur ordre d’un commandant de ce détachement.
Mais la série noire de la presse congolaise semble avoir franchi une nouvelle étape avec les actes de sabotage des médias. Ainsi :
– Le 29 mars 2006, à Kisanga (dans la périphérie sud de la ville de Lubumbashi, province du Katanga), l’antenne relais de CCTV (Canal Congo Télévision, propriété du MLC et vice-président de la République Jean-Pierre Bemba Gombo) a été également sabotée par des inconnus. Un jeune technicien de maintenance qui faisait la permanence a été retrouvé mort poignardé;
– Dans la nuit du samedi 15 au dimanche 16 avril 2006, le site de la Météo à Butembo (est de la RDC dans la province du Nord-Kivu) a été attaqué à l’arme par des inconnus. Cet acte de sabotage a réduit au silence pendant plusieurs jours la RTNC (Radiotélévision Nationale Congolaise, chaîne publique), DIGITAL Congo (chaîne privée, propriété de la s?ur jumelle du président Joseph Kabila) et RTGA (Radiotélévision Groupe l’Avenir, chaîne privée propriété du député PPRD Pius Muabilu). Aucun résultat de l’enquête n’a été communiqué à ce jour.
– Bien avant tout cela, en janvier 2006, à Lodja dans le Sankuru (Province du Kasaï Oriental), la Radio LIBERTE Sankuru, propriété du FONUS Joseph Olenghankoy, a vu une partie de son studio consumée par un incendie que la rédaction dit d’origine criminelle.
Toutes ces attaques qui menacent le travail des journalistes et médias en RDC ont un dénominateur commun : il ne s’agit pas, loin s’en faut, des actes isolés de criminalité mais bien des actes réfléchis et bien pensés visant des journalistes et des médias pour ce qu’ils sont. Par conséquent, ils constituent des précédents fâcheux qui menacent la liberté d’expression au moment où va commencer la campagne électorale. Pendant cette période, les journalistes ont, justement, le devoir de dire aux électeurs qui est qui, qui a fait quoi par le passé et qui est capable de faire quoi demain.
Ces actes de violence dans un climat politique déjà délétère se nourrissent de l’impunité dont bénéficient leurs auteurs et de la complicité du silence qui les entoure. La seule manière de briser ce cycle de violence et de rassurer les professionnels des médias est, selon le Directeur Général de l’UNESCO, « de mettre fin à l’impunité dont jouissent les auteurs des violences perpétrées à l’encontre de journalistes, en enquêtant et en punissant les responsables, et en prenant les mesures préventives qui s’imposent (. . .) ».
En ce 3 mai 2006, jour où Franck Ngyke Kangundu et Hélène Mpaka totalisent six mois depuis leur assassinat, JED a jugé utile de diffuser une affiche sur Franck et Hélène, et qui ouvre ainsi une campagne dénommée : « TOUS ENSEMBLE CONTRE L’OUBLI ». Cette affiche sera largement distribuée dans tout le pays afin de rappeler tous, et à chaque instant, le devoir commun de Vérité et de Justice. Cette Vérité et cette Justice qui ont guidé JED dans cette affaire, le gouvernement congolais les doit, d’abord aux enfants et familles des victimes et, ensuite au pays tout entier dont le choc de la nuit macabre du 03 novembre 2005 demeure vivace.
De ce qui précède, JED:
-Rappelle au président de la République, M. Joseph Kabila, la promesse faite à RSF et JED, le 9 mars 2006, d’associer JED à l’enquête sur l’assassinat de Franck et Hélène et de faire en sorte que le procès ait lieu « le plus rapidement possible, et de préférence avant la tenue des élections »;
– Demande au président de la République d’accorder son pardon au journaliste Patrice Booto, emprisonné depuis six mois, dans la mesure où la prison n’est pas une solution;
– Demande au procureur général de la République de diligenter des enquêtes fiables et de sanctionner conformément à la loi les auteurs des actes de criminalité qui ont visé et saboté le matériel de la RTNC, RTGA et DIGITAL CONGO à Butembo, de CCTV à Lubumbashi et de Radio Liberté Sankuru à Lodja;
– Demande au procureur général de la République d’ordonner la libération de Kazadi Kwambi Kasumpata, pigiste au journal « Lubulanji Expansion ». Que ce dernier puisse comparaître libre.
– Au gouvernement congolais, à la MONUC et au CIAT d’inclure dans leurs programmes de sécurisation des élections la question de la sécurité des journalistes et des médias qui couvriront la campagne électorale.