Alors que les élections présidentielles et parlementaires doivent se tenir dans moins d’un an, RSF s’insurge face à ces tentatives d’intimidation et appelle les partis politiques à la raison.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 12 août 2022.
En Turquie, plusieurs médias et journalistes ont fait l’objet de menaces de la part des milieux nationalistes. Alors que les élections présidentielles et parlementaires doivent se tenir dans moins d’un an, Reporters sans frontières (RSF) s’insurge face à ces tentatives d’intimidation et appelle les partis politiques à la raison.
“Nous craignons que les menaces provenant des milieux ultranationalistes rouvrent la voie à une nouvelle spirale de violences envers les journalistes critiques, comme lors des élections locales de 2019 où le pouvoir et son allié ultranationaliste ont perdu pour la première fois dans les métropoles turques, s’alarme le représentant de RSF en Turquie, Erol Onderoglu. La violence et la banalisation des menaces sont indignes d’un processus électoral démocratique.
La nuit du 6 août, le député nationaliste Cemal Enginyurt et son garde du corps ont profité d’une pause à l’antenne de TV100 pour agresser le journaliste Latif Simsek, après des échanges tendus en plein plateau télé. Même si le parquet d’Istanbul a lancé cette fois-ci une enquête, l’impunité judiciaire ainsi que la polarisation politique font craindre de manière générale une nouvelle vague de violence envers les journalistes, à la veille des élections parlementaires et présidentielles de juin 2023.
Le 4 août, c’était le ministre de l’Intérieur Süleyman Soylu qui s’attaquait au quotidien de gauche BirGün (Jour) et l’accusait d’être “l’organe de presse du PKK” (Parti des travailleurs du Kurdistan – organisation interdite en Turquie). Le ministre accusait le journal d’avoir publié une photo qui l’associait avec une maison d’édition (Yedi Iklim – Sept climats), mise en cause dans un scandale de fuite des questions pour les examens (KPSS) réservés aux candidats du secteur public.
Alors que Süleyman Soylu prétendait que le journal l’avait associé à cette maison d’édition, le quotidien précisait que la photo utilisée avait été prise en 2017 lors d’une cérémonie tenue au ministère de l’Intérieur en compagnie des candidats sous-préfets, mais que les éditions Yedi Iklim l’avaient utilisé dans leur campagne de promotion pour leur branche de Bursa (ville du nord-ouest de la Turquie).
Le MHP affaibli menace la chaîne HaberTürk
Le 3 août, c’était la direction du parti ultranationaliste MHP (Parti d’action nationaliste), principal allié du président Recep Tayyip Erdogan et de son parti AKP (Parti de la justice et du développement), qui menaçait la chaîne HaberTürk (Info Turque) en raison des propos tenus par un ancien député républicain Behran Simsek. Cet invité plateau avait déclaré que le président limogé du Centre d’examen des étudiants (ÖYSM) avait des liens avec le MHP et qu’il était mal à l’aise par rapport à l’influence montante des groupes religieux (Tarikat). À tour de rôle, le président du MHP Devlet Bahçeli et son vice-président Semih Yalçin ont accusé le PDG du Groupe Ciner, Turgay Ciner, d’imposer une ligne éditoriale “hostile à l’Alliance présidentielle” et l’ont ouvertement menacé : “Il le paiera.”
“Ceux qui s’associent à la tâche d’accuser et de calomnier l’Alliance présidentielle représentent les pierres angulaires de l’indécence et auront à payer. Tout sera fait pour que ceux qui osent jouer avec la tranquillité et les espoirs de notre nation le regrettent de manière certaine”, a déclaré Devlet Bahçeli.
“Nous avons relaté la réaction de Semih Yalçin en direct. D’ailleurs, ni moi-même ni notre présentateur n’avons adressé aucune critique sur ce point au MHP ou à l’ancien président de l’ÖYSM. La critique vient d’un de nos invités, ce qui relève d’une discussion libre”, leur a répondu le coordinateur de l’information de HaberTürk, Kürsad Oguz.
Le 3 août, un militant pro-Erdogan se présentant comme “Dr. Mustafa Yücel” a menacé sur son compte Twitter les célèbres journalistes Zafer Arapkirli et Aysenur Arslan, présentateurs d’émissions, respectivement au sein des chaînes critiques KRT et Halk TV, pour leur soutien à l’infectiologue Esin Davutoglu Senol. Il avait également menacé cette dernière, et avait été arrêté pour cela, avant d’être remis en liberté sous contrôle judiciaire. Mustafa Yücel a qualifié ces journalistes d’“ennemis d’Erdogan, de l’islam, de l’État”.
Suite à la première défaite de l’Alliance AKP-MHP, lors des élections locales de mars 2019, une spirale de violences s’était abattue, en quelques mois, sur une dizaine de journalistes républicains ou proches du nouveau parti Iyi, issu d’une scission du MHP en octobre 2017. Des groupes ultranationalistes s’en étaient aussi pris en pleine rue à Yavuz Selim Demirag à Ankara, à Hakan Denizli à Adana et à Idris Özyol à Antalya, pour leurs critiques envers cette alliance politique.
Même si elles ne sont pas lancées officiellement, les élections de 2023 qui opposent l’Alliance présidentielle et l’Alliance nationale – celle-ci regroupant six formations politiques variées (CHP, Iyi, Gelecek, Deva, Saadet, Demokrat) qui prônent un retour au système parlementaire –, s’annoncent très tendues. Diverses sociétés de sondage placent Recep Tayyip Erdogan derrière les principaux acteurs de l’opposition, une première en 20 ans de règne.