RSF, qui a assisté à l'audience, dénonce un verdict politique prononcé au terme d'un procès kafkaïen.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 6 juillet 2018.
Six anciens éditorialistes du quotidien turc Zaman ont été condamnés, ce 6 juillet 2018, à des peines allant jusqu’à dix ans et demi de prison. Cinq autres ont été acquittés. Reporters sans frontières (RSF), qui a assisté à l’audience, dénonce un verdict politique prononcé au terme d’un procès kafkaïen.
Après dix mois de procès, le verdict a fini par tomber ce 6 juillet 2018 à Istanbul. Six anciens éditorialistes du quotidien Zaman ont été condamnés à de lourdes peines de prison pour « appartenance à une organisation terroriste » : huit ans et neuf mois pour Şahin Alpay, Ali Bulaç et Ahmet Turan Alkan ; neuf ans pour İbrahim Karayeğen ; dix ans et demi pour Mustafa Ünal et Mümtazer Türköne. Leurs collègues İhsan Dağı, Lale Kemal, Mehmet Özdemir, Nuriye Ural et Orhan Kemal Cengiz ont en revanche été acquittés. Le chef d’accusation de « tentative de renverser le gouvernement », qui faisait risquer à certains la prison à vie, n’a finalement pas été retenu.
« Ce verdict consacre une fois de plus la criminalisation du journalisme en Turquie, dénonce le représentant de RSF, Erol Önderoğlu, qui observait l’audience. Tout au long de ce procès kafkaïen, la critique du gouvernement et la couverture d’événements d’intérêt général ont été traitées comme une forme de terrorisme. Qui réparera le préjudice subi par ceux qui ont passé de longs mois en détention provisoire ? Nous réclamons l’acquittement de tous les prévenus en appel et la fin de ces procès politiques. »
Malgré leur condamnation, Ahmet Turan Alkan et İbrahim Karayeğen devraient être remis en liberté conditionnelle en attendant que la justice se prononce en appel. Mustafa Ünal et Mümtazer Türköne, en revanche, restent en prison. Outre Erol Önderoğlu, des représentants du consulat allemand, de la délégation européenne en Turquie et de plusieurs ONG dont ARTICLE 19, P24, MLSA et Human Rights Watch assistaient à l’audience.
Les accusations portées contre les éditorialistes se fondaient essentiellement sur leur collaboration avec Zaman, le quotidien le plus lu du pays avant d’être placé sous tutelle judiciaire puis liquidé par décret en 2016. Sa ligne éditoriale était favorable à la confrérie Gülen, ancien allié du gouvernement qui l’accuse désormais d’avoir orchestré la tentative de putsch de juillet 2016. Cela suffit pour accuser quiconque travaillait avec Zaman « d’appartenir à une organisation terroriste » ou d’avoir « tenté de renverser le gouvernement et l’ordre constitutionnel ». Sans apporter la moindre preuve d’une implication individuelle dans des actions violentes ou leur apologie. Pour l’accusation, si les éditorialistes couvraient divers scandales impliquant le gouvernement et critiquaient sa dérive autoritaire, ce n’était que pour créer dans l’opinion une « perception » favorable au coup d’État.
Initialement jugés avec vingt autres anciens collaborateurs de Zaman, les onze éditorialistes en ont été séparés en avril 2018. Nombre d’entre eux ont été relâchés au compte-gouttes après de longues périodes de détention provisoire. Non sans résistance : saisie par Şahin Alpay, la Cour constitutionnelle turque a reconnu en janvier que la détention provisoire du journaliste de 73 ans violait ses droits. Mais ce n’est que deux mois plus tard qu’il a été libéré de prison, et encore deux mois plus tard que son assignation à résidence a été levée.
La Turquie occupe la 157e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2018 par RSF. Déjà très préoccupante, la situation des médias est devenue critique sous l’état d’urgence proclamé à la suite de la tentative de putsch de juillet 2016 : près de 150 médias ont été fermés, les procès de masse se succèdent et le pays détient le record mondial du nombre de professionnels des médias emprisonnés.