RSF espère vivement qu’il s’agit d’un premier pas vers des réformes plus significatives, sans quoi l'impact de l’initiative gouvernementale restera nul.
(RSF/IFEX) – Le 9 février 2012 – Reporters sans frontières prend acte de l’initiative gouvernementale visant à atténuer la portée du carcan législatif turc, en particulier sur la presse. L’organisation espère vivement qu’il s’agit d’un premier pas vers des réformes plus significatives, sans quoi son impact restera nul.
« En s’attaquant enfin à certains travers majeurs de la justice turque, ce projet de loi va dans le bon sens, a déclaré l’organisation. Il constitue d’ailleurs un aveu bienvenu, en contraste avec le déni constant manifesté par les plus hautes autorités. Mais il ne prévoit que des aménagements, dont les effets demeureront très limités si le législateur s’en contente au détriment de véritables réformes de fond. Colmater les brèches ne suffit pas : les libertés publiques ne seront réellement garanties que lorsque la Loi antiterroriste (LAT), le Code pénal et le Code des procédures pénales seront complètement débarrassés de la logique répressive qui les imprègne. »
Le projet de loi, préparé par le ministère de la Justice et approuvé en Conseil des ministres, a été transféré à l’Assemblée nationale la semaine dernière. Le texte visant à « rendre plus efficaces les services rendus par la justice » et à instaurer un « sursis pour les poursuites judiciaires et les peines prononcées dans le cas de délits commis par voie de presse », fera prochainement l’objet d’un débat et d’un vote au Parlement.
La Turquie est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour des violations du principe de la liberté d’expression. Le corpus législatif en est largement responsable, au même titre qu’une pratique judiciaire tributaire de réflexes sécuritaires. Reporters sans frontières a présenté ses recommandations à ce sujet dans son rapport d’enquête publié en juin 2011.
Sursis général de trois ans
L’aspect a priori le plus spectaculaire de ce projet de loi réside dans la suspension d’un certain nombre de procédures judiciaires et de condamnations visant des journalistes. « Nous attendons avec impatience des libérations. Mais elles ne suffiront pas, dans la mesure où la justice qualifie le plus souvent de ‘terrorisme’ ce qui relève en réalité de délits de presse : la plupart de ces cas seront exclus du dispositif. En outre, les très nombreux journalistes poursuivis en raison de leurs écrits se retrouveront en sursis pendant trois ans, durant lesquels ils seront contraints au silence », a nuancé Reporters sans frontières.
Pour ceux des accusés qui sont passibles d’une peine maximale de cinq ans de prison, les procès intentés et les condamnations prononcées pour des « délits de presse et d’opinion » commis avant le 31 décembre 2011 seront suspendus pour une durée de trois ans. Si les intéressés ne commettent aucun délit de même nature pendant cette période, leur dossier sera définitivement classé. Dans le cas inverse, l’enquête ou le procès suspendu reprendra son cours. D’après le ministère de la Justice, cette disposition affecterait 5 000 dossiers de journalistes.
La nature des délits que recouvre cette disposition reste floue. Les commentateurs estiment que les cas de « divulgation de déclarations d’une organisation terroriste » et de « propagande d’une organisation terroriste », relevant de la LAT, rentreront dans son champ d’application. Si c’est le cas, les dossiers d’Irfan Aktan, Ragip Zarakolu ou Hakan Tahmaz, par exemple, seraient temporairement suspendus. Des journalistes tels que Vedat Kursun, Bedri Adanir, Ruken Ergün ou Ozan Kilinç pourraient aussi partiellement en bénéficier. Certains pourraient être remis en liberté, compte tenu du temps déjà passé en détention. Mais certainement pas ceux qui sont poursuivis arbitrairement pour « appartenance à une organisation terroriste ».
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