Pour JED, la montée en force des cas d'attaques font partie d'un système de répression mis en place par les autorités congolaises, et qui vise à empêcher les journalistes d'être des témoins gênants de la dérive autoritaire qui s'installe petit à petit dans le pays.
Cet article a été initialement publié sur jed.org le 1 novembre 2017.
A l’occasion de la célébration, jeudi 2 novembre 2017, de la « Journée Internationale de lutte contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes », Journaliste en danger (JED) a rendu public son Rapport annuel sur l’état de la liberté de presse et d’expression intitulé « République Démocratique du Congo : La répression se banalise ».
Ce Rapport 2017 présente un bilan en hausse de la répression avec 121 cas documentés d’attaques contre les médias dont près de la moitié sont constitués des violences physiques contre les journalistes.
En 2016, l’Organisation avait enregistré au moins 87 cas des violations de la liberté de l’information.
Concernant le contexte politique et médiatique dans lequel travaillent les journalistes, l’année qui s’achève en RDC a été marquée par une profonde crise politique due au fait que des élections n’ont pu être organisées l’année dernière, à la fin du deuxième et dernier mandat du Président Joseph Kabila au pouvoir depuis plus de quinze ans. Du coup, le pays s’est installé dans une profonde crise politique et sécuritaire.
Des manifestations de contestation initiées par l’opposition ou des mouvements des jeunes pour réclamer l’organisation des élections se sont multipliées et ont été violement réprimées par les forces de sécurité. Les journalistes qui ont couverts ces démonstrations publiques ont été souvent interpellés, passés à tabac ou ont vu leurs matériels de travail détruits.
A titre illustratif :
· A Goma, dans la province du Nord-Kivu, trois journalistes, Rozen Kalafulo (Pole FM), Freddy Bikumbi (Radio Okapi) et Willian Dupuy (photographe de Picture Tank) ont été physiquement agressés, le mercredi 12 avril 2017, par un officier de la police nationale congolaise en personne, le Colonel Van Kasongo, alors qu’ils couvraient une manifestation pacifique organisée par le mouvement citoyen « Lutte pour le Changement » (LUCHA) devant la Banque Centrale de Goma pour protester contre les conditions financières dans le pays. En dépit des dénonciations, l’officier n’a jamais été inquiété.
· A Kinshasa, une équipe des journalistes-correspondants de « TV5 monde » composée de Francine Mukoko, Blaise Basomboli et Baudry Mata, ont été sérieusement violentés, le mercredi 17 mai 2017, par un groupe d’éléments de la police qui ont, par la suite, confisqué leurs matériels de travail alors qu’ils s’étaient rendus à la prison centrale de Kinshasa dans le but de réaliser un reportage suite à l’attaque survenue à la Prison centrale de Kinshasa au cours de laquelle plusieurs détenus se sont évadés et qui auraient fait plusieurs morts.
· Plus récemment à l’Est du pays, la Radio Moto Butembo Beni (Nord-Kivu) a été pillée et saccagée par un groupe de militaires des FARDC qui ont emporté tous les matériels relais du signal de ce média, composé notamment des batteries, d’un émetteur faisceau, d’un régulateur, des panneaux solaires, etc.
Ces actes des violences et d’entraves à la liberté de l’information commis par différents services de sécurité n’ont jamais fait l’objet d’une enquête ou une sanction pour ceux qui s’en sont rendus coupables.
A côté de ces violences physiques, JED relève la multiplication des cas de censure : « Lorsqu’elles ne s’attaquent pas physiquement aux journalistes, les autorités prennent des mesures techniques de censure en coupant les signaux audiovisuels ou Internet pour censurer certains médias. Au cours de l’année écoulée, les autorités congolaises ont intimé l’ordre aux différents opérateurs fournisseurs de service d’internet de couper la connexion ou de restreindre l’accès aux réseaux sociaux, privant ainsi des milliers des congolais de l’information », peut-on lire dans ce Rapport.
Plusieurs médias nationaux et internationaux ont ainsi vu leurs signaux d’émission coupés ou brouillés pour avoir abordé les sujets brûlants de l’actualité politique ou sécuritaire nationale.
Non content d’empêcher les journalistes congolais de travailler, les autorités congolaises ont également pris des mesures, en plus des coupures de signal de plusieurs médias internationaux, pour limiter l’accès des journalistes étrangers aux informations.
A titre d’exemple, le signal de RFI a été coupé le 5 novembre 2016 au matin dans tout le pays. Si le signal a été rétabli, deux jours plus tard à Lubumbashi, le média est resté inaccessible à Kinshasa pendant près de neuf mois, où la fréquence émettant depuis le Congo Brazzaville avait également été brouillée. Son signal n’a été rétabli que le 12 août 2017. Quant à Radio Okapi, la radio onusienne, son signal a également fait l’objet d’un brouillage à Kinshasa le 5 novembre 2016. Ces deux « brouilles » coïncidaient avec l’organisation de manifestations de l’opposition protestant contre le report des élections présidentielles.
Autre exemple de censure, les compagnies de télécommunications ont reçu, le 14 décembre 2016, une correspondance de l’Autorité de Régulation des Postes et des Télécommunications (ARPTC) – une administration sous l’autorité directe de la présidence de la République -, leur intimant l’ordre de bloquer l’accès aux réseaux sociaux à partir du 18 décembre 2016 à minuit, et de suspendre l’accès à Internet si le blocage ciblé n’était pas possible.
Dans une autre lettre adressée, le 7 août 2017, aux sociétés des télécommunications, opérant en RD Congo, et portant sur des « mesures préventives à prendre face à l’usage abusif des réseaux sociaux », l’ARPTC leur a enjoint de « prendre des mesures techniques préventives susceptibles de réduire au strict minimum la capacité de transmission des images ». Cette demande a été formulée la veille d’une grande marche de l’opposition.
Un mois avant, un arrêté ministériel est venu limiter gravement la libre circulation des journalistes étrangers sur le territoire congolais. Selon ce texte, portant « Règlementation de l’accréditation des journalistes étrangers en RD Congo », signé le 12 juillet 2017, le Ministre de la Communication et des Médias, Lambert Mende, a « interdit aux correspondants de la presse étrangère de réaliser des reportages dans les lieux stratégiques tels que les casernes militaires, installations de télécommunications, Ambassades, saufs autorisation expresse des responsables desdits lieux ». Dans le même arrêté, il était écrit que « leurs déplacements en dehors de la ville de Kinshasa devront être assortis d’une autorisation préalable du Ministre ayant la Communication et les Médias dans ses attributions après concertations avec les autorités locales des entités à visiter ».
Pour JED, la montée en force des cas d’attaques et des violences enregistrées cette année, de même que l’impunité dont jouissent des personnes identifiables qui s’en prennent aux journalistes et aux médias, font partie d’un système de répression mis en place par les autorités congolaises, et qui vise à empêcher les journalistes nationaux et étrangers d’être des témoins gênants de la dérive autoritaire qui s’installe petit à petit dans le pays.
En cette journée mondiale de lutte contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes, JED demande à la communauté internationale d’accentuer les pressions sur le gouvernement congolais, et d’envisager des sanctions ciblées contre les responsables des exactions contre la presse.