Beaucoup de journalistes rencontrés par RSF voient dans la crise économique une chance pour les médias de rompre avec le système clientéliste en vigueur depuis les années 80.
(RSF/IFEX) – Le 16 septembre 2011 – Alors que la Grèce continue d’inquiéter ses partenaires européens, Reporters sans frontières s’est rendue à Athènes du 27 juillet au 3 août 2011 pour observer les détériorations récentes de la situation de la liberté de la presse. Le pays a chuté depuis trois ans consécutifs dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, passant de la 31e place en 2008 à la 70e en 2010, talonnant son voisin bulgare. Une chute inquiétante qui s’explique en grande partie par des pratiques aussi surprenantes qu’inacceptables au sein d’un pays membre de l’Union européenne.
Si la crise économique et financière a contribué à la dégradation du paysage médiatique, elle a surtout mis à jour les faiblesses d’un secteur marqué par des pratiques presque mafieuses. Aux mains de quelques armateurs et de grands entrepreneurs, la plupart des groupes de presse menacent aujourd’hui de s’écrouler, et d’entraîner des vagues de licenciement au sein d’une profession déjà touchée par la précarité.
La blogosphère offre un espace d’expression plus libre et un antidote temporaire à l’autocensure qui se généralise dangereusement dans les médias traditionnels, mais le Web ne représente pas pour autant une alternative économiquement viable qui permettrait de rompre avec les usages désastreux mis en place au cours des vingt dernières années.
Sur fond de violences sociales, une crise de confiance très profonde s’est également installée entre la population et les médias. Considérés tantôt comme des voyous tantôt comme des nantis, les journalistes incarnent aux yeux de certains un pouvoir aujourd’hui honni. Certains professionnels ont désormais recours à des mesures de protection alors que d’autres craignent les agressions physiques. Cibles de campagnes de diffamation qui mêlent slogans moqueurs et menaces de mort, les journalistes considèrent désormais avec prudence leur engagement sur le terrain. Longtemps considéré comme le symbole d’une presse d’investigation, Stelios Kouloglou fait depuis quelques jours l’objet d’une campagne d’affichage sauvage diffamante. Son crime ? Avoir procédé à des licenciements dans la Web TV qu’il a créée et qui rencontre des problèmes de trésoreries.
Plus à l’abri que leurs collègues grecs, la presse internationale reconnaît cependant des difficultés inhabituelles pour un pays membre de l’Union européenne. Mais les correspondants des médias internationaux qui s’expriment sur le sujet souhaitent eux aussi conserver une certaine discrétion.
Les conséquences de la crise ont par ailleurs radicalisé une partie de l’opinion publique qui exprime colère et frustration dans des manifestations où la violence va croissante. Confrontés au sein de ces mouvements sociaux à des contextes proches de certaines guerres civiles, les photographes et les cameramen évoluent dans des conditions de sécurité difficiles. Pris entre la violence des mouvances extrémistes et la répression des forces anti-émeute, peu respectueuses de leurs activités professionnelles, les photoreporters payent un lourd tribut pour nous fournir les images de l’actualité.
Si aucun professionnel des médias n’envisage avec bonheur les conséquences des plans d’économie ou d’austérité, la plupart des journalistes rencontrés voient cependant dans la crise économique une chance pour les médias de rompre avec le système clientéliste en vigueur depuis les années 80. Et on se surprend à se poser sérieusement la question : la crise serait-elle une chance pour la liberté de la presse en Grèce ?