Six anciens journalistes et collaborateurs du quotidien Cumhuriyet, récemment condamnés en appel, ont été incarcérés ce 25 avril. RSF dénonce fermement un acharnement qui fait honte à la Turquie.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 25 avril 2019.
Six anciens journalistes et collaborateurs du quotidien Cumhuriyet, récemment condamnés en appel, ont été incarcérés ce 25 avril. Reporters sans frontières (RSF) dénonce fermement un acharnement qui fait honte à la Turquie.
Ils avaient retrouvé la liberté après de longs mois de détention provisoire, mais doivent déjà y renoncer : six anciens collaborateurs du quotidien turc Cumhuriyet sont de retour en prison ce 25 avril 2019. Condamnés à trois ans et neuf mois de réclusion criminelle pour « assistance à une organisation terroriste », le célèbre caricaturiste Musa Kart et les anciens administrateurs du journal Önder Çelik, Mustafa Kemal Güngör, Hakan Karasınır et Güray Öz ont été appelés au centre de détention de Kandıra pour purger le reste de leur peine, tout comme le comptable Emre İper, reconnu coupable de « propagande terroriste » et condamné à trois ans, un mois et quinze jours de prison.
« Nous sommes écœurés de voir ces éminentes personnalités jetées de nouveau en prison, déclare Erol Önderoğlu, représentant de RSF en Turquie. C’est l’aboutissement d’une vengeance politique impitoyable qui illustre le délabrement de l’état de droit. Cet acharnement ne profite à personne et fait honte à la Turquie. »
Les anciens collaborateurs de Cumhuriyet Kadri Gürsel et Bülent Utku, respectivement condamnés à deux ans et demi et quatre ans et demi, n’ont pas encore reçu de convocation. Le sort de six autres anciens collègues, condamnés à des peines supérieures à cinq ans, est toujours suspendu à une décision de la Cour de cassation.
Avec leurs collègues en exil Can Dündar et İlhan Tanir, ces journalistes sont jugés responsables de la ligne éditoriale libérale, soucieuse des droits des minorités et critique de la dérive autoritaire du président Erdoğan, adoptée par Cumhuriyet entre 2013 et 2018. Des années pendant lesquelles le journal a multiplié les révélations embarrassantes pour le pouvoir : scandales de corruption, livraisons d’armes en Syrie… Fer de lance du journalisme indépendant à un moment particulièrement critique, Cumhuriyet a reçu le Prix RSF pour la liberté de la presse en 2015, avant que cette équipe ne soit écartée par des tenants d’une ligne kémaliste dure plus traditionnelle en septembre 2018.
Pour les juges, ce « changement radical de ligne éditoriale » avait pour but de soutenir les visées de trois « organisations terroristes » hétéroclites. Des accusations essentiellement fondées sur des articles de presse, des contacts avec des sources d’information ou des partenaires commerciaux, et les activités du conseil exécutif du journal, interprétés à la lumière d’une véritable théorie du complot.
La Turquie occupe la 157e place sur 180 pays au Classement mondial 2019 de la liberté de la presse établi par RSF. Déjà très préoccupante, la situation des médias est devenue critique suite à la tentative de putsch de juillet 2016 : de nombreux médias ont été liquidés sans possibilité de recours, les procès de masse se succèdent et le pays détient le record mondial du nombre de professionnels des médias emprisonnés.