Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF daté du 12 avril 2000: Une dizaine de médias indépendants et d’opposition fermés, une trentaine condamnés et plus de 200 menacés Alors que l’opposition annonce une manifestation contre le régime de Slobodan Milosevic pour le 14 avril, le pouvoir serbe lance une nouvelle offensive contre les médias indépendants […]
Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF daté du 12 avril 2000:
Une dizaine de médias indépendants et d’opposition fermés, une trentaine condamnés et plus de 200 menacés
Alors que l’opposition annonce une manifestation contre le régime de Slobodan Milosevic pour le 14 avril, le pouvoir serbe lance une nouvelle offensive contre les médias indépendants et d’opposition, dans une guerre, désormais totale, pour le contrôle de l’information. Les amendes continuent de frapper quotidiennement les médias contestataires. Le montant total des sommes ainsi versées s’élèverait à 25 millions de dinars (2,4 millions d’euros). Cependant, pour la première fois, des médias condamnés ont annoncé publiquement qu’ils refusaient de régler les sommes dues. Plus de 200 médias électroniques, n’ayant pas vu leurs licences renouvelées, sont actuellement menacés de fermeture. La pénurie de papier frappe la presse écrite. Depuis le début de l’année, une dizaine de médias indépendants ont été fermés et une trentaine ont été condamnés.
La loi sur l’information d’octobre 1998, qui permet d’infliger de très fortes amendes pour « propos offensants » et « propos mensongers » sur simple plainte d’un particulier, continue d’être massivement utilisée pour faire taire toute velléité d’indépendance. Mais, pour la première fois, des médias ont annoncé publiquement qu’ils refusaient de payer les amendes. Le 10 avril, la télévision municipale de Belgrade, Studio B, est condamnée à payer 450 000 dinars (40 500 euros). Cette amende est la troisième infligée depuis le mois de janvier à la chaîne, suite à la plainte d’un général de l’armée yougoslave, que la chaîne avait accusé d’être impliqué dans l’attentat présumé contre le leader de l’opposition, Vuk Draskovic, le 3 octobre dernier. Studio B avait déjà versé 450 000 dinars (40 500 euros) le 6 mars et 300 000 dinars (27 000 euros) en février. Le rédacteur en chef a déclaré ne plus vouloir « participer à cette comédie juridique ». Le 11 avril, soutenus par des manifestations populaires organisées à l’appel de l’opposition, les responsables de Narodne Novine, quotidien indépendant de Nis (Sud), condamné, le 6 avril, à une amende de 400 000 dinars (35 000 euros), pour avoir affirmé que l’armée procédait à des mobilisations, ont également déclaré refuser d’acquitter les sommes dûes. Leurs comptes bancaires ont été saisis et le matériel du journal confisqué.
Le quotidien indépendant Danas et son rédacteur en chef sont actuellement poursuivis par l’agence de presse gouvernementale Tanjug, qui réclame 1 million de dinars (90 000 euros) de dommages et intérêts pour un texte critiquant la situation de l’agence. Danas avait déjà été condamné pour ce texte à verser 300 000 dinars (27 000 euros). Le 11 avril, l’hebdomadaire indépendant Vreme est également passé en jugement, suite à une plainte déposée par le ministre de la Culture. Le 2 avril, l’hebdomadaire d’opposition, Kikinske Novine s’était vu infliger une amende de 280 000 dinars (26 000 euros) pour avoir publié un photomontage impliquant un journaliste proche du pouvoir. C’est la troisième amende infligée à ce journal, après six plaintes, toutes déposées par le même journaliste. Ces condamnations font suite aux amendes de 100 000 dinars (9 000 euros) infligées à l’ hebdomadaire Nedeljne Novine, pour un texte portant sur les activités d’une branche locale du Parti socialiste, et au journal Nezavisna Svetlost, pour un article mentionnant une grève des enseignants dans une école primaire. En février, l’hebdomadaire Nin et le quotidien Vecernje Novosti ont dû payer chacun 150 000 dinars (13 500 euros), pour avoir fait état d’abus de pouvoir dans des établissements universitaires et scolaires. Le 10 mars, l’hebdomadaire Srpska Rec, publié par le SPO (parti d’opposition), a dû payer 450 000 dinars d’amende (40 500 euros) pour avoir accusé la police d’être impliquée dans l’attentat présumé contre le leader de l’opposition Vuk Draskovic.
Le 14 mars dernier, le ministre fédéral des Télécommunications avait déclaré que 168 stations de radio et 67 chaînes de télévision fonctionnaient sans autorisation. Il leur avait donné jusqu’au 31 mars pour régler leur dette qui correspondrait, selon les autorités, à l’utilisation des fréquences pour la période de juin 1998 à février 2000. Les médias incriminés déclarent, de leur côté, n’avoir jamais reçu de notification écrite du montant à honorer et se trouvent aujourd’hui dans l’illégalité.
Au mois de mars, sous ce prétexte, les autorités avaient déjà procédé à la fermeture de plusieurs médias électroniques dans les villes contrôlées par l’opposition. Le 8 mars, le ministère des Télécommunications avait procédé à la fermeture de Boum 93, une radio privée de Pozarevac (60 km à l’est de Belgrade). Le lendemain, deux autres médias privés, la radio Tir et la chaîne de télévision Nemanja de Cuprija (100 km au sud de Belgrade), avaient également été suspendus. Le 12 mars, sous le même prétexte, c’est la radiotélévision municipale de Pozega, une ville également contrôlée par l’opposition, qui avait été fermée, malgré les protestations de ses habitants.
La télévision municipale de Pirot (une ville de 70 000 habitants située au sud-est du pays) avait connu le même sort quelques jours plus tard. La municipalité avait finalement racheté un émetteur et repris ses programmes sans autorisation, le 27 mars, soutenue par la population. Le 18 mars, les inspecteurs du ministère fédéral des Télécommunications avaient saisi l’émetteur de la radiotélévision municipale de Kraljevo (100 km au sud de Belgrade), une ville dirigée par l’opposition, privant ainsi près de 800 000 personnes de leurs programmes. L’émetteur leur avait été rendu, une semaine plus tard, suite aux manifestations organisées par les habitants de la ville. A Nis, deuxième ville du pays, la chaîne de télévision TV5 risque d’être fermée : l’armée yougoslave, propriétaire des locaux, a sommé la direction de quitter les lieux, au plus tard le 25 avril 2000. Selon des responsables de la chaîne, TV5 aurait souscrit un contrat de location de dix ans.
Outre les amendes, tous les moyens sont mis en ¦uvre pour asphyxier économiquement les médias indépendants. Depuis le 25 mars, l’entreprise Matroz, l’unique fabricant de papier journal, a suspendu sa production. Or, le papier journal ne peut être importé sans une licence du ministère yougoslave du Commerce extérieur, qui a systématiquement refusé d’en délivrer aux éditeurs indépendants. La production aurait repris, mais à ce jour, la distribution n’est toujours pas assurée. Peu auparavant, les autorités avaient imposé aux quotidiens indépendants Blic et Glas Javnosti, une baisse de 25 % de leur prix de vente, menaçant fortement leur équilibre budgétaire. Le 28 janvier, l’imprimerie ABC, qui édite le quotidien privé Glas Javnosti, tirant à 200 000 exemplaires, avait été mise en faillite. Le 3 mars, un proche du régime, Dusan Cukic, avait été nommé au poste de directeur et rédacteur en chef du quotidien à grand tirage Vecernje Novosti. Le gouvernement a ainsi décidé de reprendre le contrôle du puissant groupe de presse Novosti, contestant la légalité de sa privatisation.
Les actes de vandalisme n’ont, par ailleurs, pas cessé. Le 29 janvier, les locaux du bureau régional du quotidien Blic, à Kragujevac, ont été mis à sac par des inconnus. Mi-février, c’est une partie de l’équipement du journal Novine Vranjske qui a été emportée par des cambrioleurs. Le 6 mars, la chaîne de télévision Studio B a, elle aussi, été victime d’actes de vandalisme perpétrés par des individus en uniformes de police.
Enfin, la presse étrangère continue d’être indésirable en Serbie. Le 6 avril, le correspondant de la radio américaine Voice of America, un Albanais du Kosovo, Fahri Musli, avait été interpellé. Le 4 avril, deux journalistes du New York Times, interpellés à Novi Pazar (Sud-Ouest ) avaient dû s’acquitter d’une amende de 2 000 dinars (180 euros) pour être entrés en Serbie sans visa, alors que le vice-président de l’Association des journalistes de Croatie, Drago Pilsl, s’était vu refuser son visa, le 29 mars dernier.
Face à l’ampleur de la répression menée par les autorités serbes contre les médias contestataires, Reporters sans frontières (RSF) demande aux représentants de la communauté internationale, et notamment au rapporteur spécial des Nations unies (ONU) pour les droits de l’homme en ex-Yougoslavie, M. Jiri Diensbier, de dénoncer fermement cette situation et de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour soutenir la résistance des médias menacés.