(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un rapport de RSF: Congo-Brazzaville Une liberté de la presse en demi-teinte Septembre 1999 Avec le soutien de la Commission européenne La situation de la liberté de la presse au Congo est contradictoire. Alors que des journaux de sensibilités différentes sont vendus dans les rues de Brazzaville, la télévision et la radio […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un rapport de RSF:
Congo-Brazzaville
Une liberté de la presse en demi-teinte
Septembre 1999
Avec le soutien de la Commission européenne
La situation de la liberté de la presse au Congo est contradictoire. Alors
que des journaux de sensibilités différentes sont vendus dans les rues de
Brazzaville, la télévision et la radio sont étroitement contrôlées par les
hommes du président Denis Sassou-Nguesso. Bien que les autorités affirment
leur attachement au pluralisme, la nouvelle version de la loi sur la presse
en cours de discussion est plus répressive encore que le texte adopté en
1996, déjà fort éloigné des engagements internationaux du pays en matière de
liberté d’expression. Si le ministre de la Communication assure qu’on
n’emprisonne plus de journalistes au Congo, le correspondant congolais
d’Africa N°1 pour l’Angola a été maintenu plus d’une semaine en détention
avant que des excuses ne lui soient présentées. En fait, on lui reprochait
d’être né dans la même région que l’ex-président Pascal Lissouba et de
travailler pour un média qui venait d’avoir maille à partir avec les
autorités (l’émetteur en modulation de fréquence d’Africa N°1 à Brazzaville
a été réduit au silence pendant plusieurs mois après la diffusion d’une
émission jugée trop partiale par le régime de Denis Sassou-Nguesso).
Difficile dans ces conditions de parler de véritable liberté de la presse au
Congo. Si la situation des journalistes est meilleure qu’à Kinshasa par
exemple, le paysage médiatique congolais porte encore les traces de la
guerre civile, sans parler des dégâts occasionnés par des mois de combats,
en 1997 comme en décembre 1998. Des courants entiers de l’opinion publique
ne peuvent s’exprimer ni dans les médias audiovisuels, ni même dans les
journaux contrôlés, à de rares exceptions près, par les hommes qui se
partagent les postes ministériels. Et, contrairement aux affirmations des
autorités rencontrées lors de la mission de Reporters sans frontières du 16
au 22 août 1999 (les ministres de la Communication et de la Justice ainsi
que le directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur), les bonnes
intentions affichées pourraient n’être qu’un discours de façade, comme le
laisse penser le projet de nouvelle loi sur la presse.
Chasse aux sorcières
Depuis l’arrivée au pouvoir de Denis Sassou-Nguesso, en octobre 1997, une
véritable chasse aux sorcières s’est organisée pour débusquer les
journalistes proches de l’ancien président Pascal Lissouba. De nombreux
journalistes des médias gouvernementaux ont quitté le pays par peur de
représailles ou ont changé de métier, se réfugiant dans des zones rurales.
Aujourd’hui, il n’est pas possible de savoir si les journalistes qui sont
toujours dans la région du Pool, une zone d’affrontements entre forces
gouvernementales et milices liées à l’opposition, ne retournent pas à
Brazzaville par crainte de vengeances, par sympathie pour les milices de
Bernard Kolélas et de Pascal Lissouba, ou au contraire parce qu’ils en sont
empêchés par ces dernières. Selon certains, on serait toujours sans
nouvelles d’une trentaine de professionnels des médias.
Ce sont aujourd’hui des anciens membres de la radio rebelle Radio Liberté
qui occupent les médias d’Etat restaurés. Ekia Akoli Wamené, rédacteur des
éditoriaux de Radio Liberté tout au long de la guerre, est maintenant
directeur général de Télé-Congo. Certains titres de la presse privée se sont
rapprochés du pouvoir. Sur plus d’une douzaine de titres qui paraissent
aujourd’hui à Brazzaville (dont moins d’un tiers paraît toutes les
semaines), plus de la moitié sont en fait des porte-parole du pouvoir et
plusieurs autres sont contrôlés en sous-main par différents ministres. Une
presse volontiers qualifiée par des journalistes de la place de « journaux de
tranchée, de rumeurs et de délations ».
La seule radio privée qui émet aujourd’hui, Radio Liberté, était la radio de
guerre de Denis Sassou-Nguesso. Le 3 novembre 1997, le nouveau ministre de
la Communication, François Ibovi, avait annoncé que Radio Liberté
continuerait ses activités, dans le cadre du « pluralisme » de la presse que
le nouveau gouvernement affirmait vouloir instaurer. Les décrets
d’application concernant les articles de la loi sur la presse de juin 1996
qui prévoyaient la création des médias audiovisuels privés, n’ont jamais été
signés. Seule une radio clandestine, Radio Royale, contrôlée par les Ninjas
de l’ancien Premier ministre, Bernard Kolélas, émettrait de façon épisodique
dans les zones où combattent ces milices.
Du côté des rebelles, on n’hésite pas à s’en prendre à ceux qu’on accuse
d’être des « traîtres ». Ainsi, le 29 août 1998, Fabien Fortuné Bitoumbo,
journaliste pour la station Radio Liberté et l’hebdomadaire Le Gardien, est
assassiné dans la ville de Mindouli (150 km au sud de Brazzaville), alors
qu’il couvre un déplacement du ministre des Mines et de l’Industrie, Michel
Mampouya. Les Ninjas reprochent au ministre de s’être rallié à la cause du
président Denis Sassou-Nguesso et d’avoir trahi le parti de Bernard Kolélas.
Surpris par la résistance des forces de police locales, les miliciens de
l’ancien Premier ministre prennent en otage les journalistes qui
accompagnent la délégation officielle. Douze heures plus tard, ils abattent
Fabien Fortuné Bitoumbo à bout portant, avant de libérer les autres otages
et de s’enfuir dans les bois. D’après plusieurs sources, le journaliste n’a
pas été choisi au hasard. Il était l’ancien rédacteur en chef de
l’hebdomadaire La Rue Meurt, un magazine proche de Bernard Kolélas, qu’il
avait quitté, en désaccord avec la ligne éditoriale. Il avait alors rejoint
la station Radio Liberté et l’hebdomadaire Le Gardien, deux médias connus
pour être proches du parti de Denis Sassou-Nguesso.
Des journalistes emprisonnés
Si depuis que Denis Sassou-Nguesso a repris le pouvoir à Brazzaville, les
arrestations de journalistes sont moins nombreuses, plusieurs d’entre eux
ont néanmoins été interpellés ou incarcérés.
Ainsi, fin mai 1999, Hervé Kiminou-Missou, correspondant de la radio
panafricaine Africa N°1 pour l’Angola, est arrêté par la police de l’air et
des frontières de Pointe-Noire. Le journaliste, de nationalité congolaise,
est appréhendé alors qu’il tente de se rendre au Cabinda, l’enclave
angolaise où des mouvements indépendantistes sont actifs. Il sera détenu
pendant plus d’une semaine avant que le responsable local de la Direction de
la surveillance du territoire (DST) lui avoue qu’il a été arrêté en toute
illégalité. « Tout a commencé quand un capitaine de la police de l’air et des
frontières s’est aperçu que j’étais né dans le fief de Pascal Lissouba »
explique aujourd’hui Hervé Kiminou-Missou. « Il m’a accusé d’espionnage,
d’être un Cocoye [la milice de l’ancien chef d’Etat]. Je lui ai alors
expliqué que j’étais journaliste à Africa N°1. Sa seule réaction a été de
multiplier les invectives et de me menacer d’être torturé. A la vue de mon
équipement, un magnétophone de reportage, il a affirmé qu’il s’agissait
d’équipement d’espionnage ». Relâché quelques heures plus tard, le
journaliste doit se représenter au début de la semaine suivante. Il est
alors emprisonné, sans explications. Hervé Kiminou-Missou est notamment
interrogé sur ses liens avec Maurice Lemaire, le correspondant d’AITV, une
agence audiovisuelle, arrêté le 31 mai (cf. infra), et sur ses rapports avec
des responsables de l’Unita, le mouvement rebelle angolais et des
indépendantistes cabindais. Huit jours plus tard, il est entendu par un
officier de la DST qui lui explique qu’on lui a « fait du tort » pour rien.
Hervé Kiminou-Missou est enfin libéré.
Maurice Lemaire, journaliste de la télévision nationale congolaise et
correspondant de l’agence internationale AITV, est arrêté le 31 mai 1999 et
détenu depuis dans une cellule de la DST de Pointe-Noire. Il est accusé
d’avoir adressé des documents à des proches de Pascal Lissouba, aujourd’hui
réfugiés à l’étranger. Selon un officier de la DST, le journaliste aurait
reconnu les faits : il aurait bien envoyé un fax à des hommes de l’ancien
président de la République contenant un plan de la ville de Pointe-Noire
avec les divers emplacements des forces armées. Si de l’avis de plusieurs de
ses confrères, ces accusations semblent plausibles, il a été impossible à la
délégation de Reporters sans frontières de rencontrer Maurice Lemaire,
malgré les promesses du directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur qui
avait pourtant obtenu l’accord de celui-ci. Aujourd’hui, le correspondant
d’AITV est toujours en détention préventive. Selon un responsable de la DST,
l’enquête serait close mais le dossier n’a toujours pas été transmis au
parquet. Comme pour atténuer les accusations portées contre le journaliste,
cet officier de la DST explique que Maurice Lemaire n’aurait pas « mesuré la
gravité de ce qu’il faisait ». Et d’ajouter : « Il a dû le faire naïvement
(S), mais en tout cas, les renseignements sont bien parvenus à leurs
destinataires ».
Les ennuis d’Africa N°1
Au lendemain d’une émission d’Africa N°1, « Le journal des auditeurs »,
consacrée à la situation au Congo, les autorités de Brazzaville vont entrer
en guerre avec la station gabonaise. Elles ont été « scandalisées », selon les
propres mots du ministre de la Communication, par le caractère partisan des
interventions des auditeurs. Plus généralement, le nouveau pouvoir congolais
reproche à Africa N°1 de donner systématiquement la parole à ses opposants –
la station serait devenue une « tribune pour les génocidaires réfugiés à
l’étranger » – et d’avoir intégré dans sa rédaction plusieurs journalistes
proches de l’ancien pouvoir. De février à la mi-juillet 1999, Africa N°1 ne
pourra plus émettre en modulation de fréquence sur Brazzaville. Le 8
février, le gouvernement congolais retire son accréditation à Bienvenu
Boudimbou, le correspondant d’Africa N°1. Commencent alors de longues
négociations entre la direction de la station panafricaine basée à
Libreville et les autorités congolaises. Courant février, trois journalistes
d’Africa N°1, ayant la double nationalité gabonaise et congolaise, sont
licenciés. Placide Ibouanga Ndinga, Gervais Rouange Ngoma et J. Mathurin
Yembangoya ont fait les frais des pressions du gouvernement de Denis
Sassou-Nguesso, le père de l’épouse du président gabonais. Le nouveau
correspondant d’Africa N°1 est, selon plusieurs de ses collègues, un proche
des autorités de Brazzaville. Au cours de sa rencontre avec la délégation de
Reporters sans frontières, François Ibovi, le ministre de la Communication,
affirme « regretter » cette suspension de plusieurs mois. Avant de préciser
qu’avec la nouvelle convention signée entre Africa N°1 et les autorités
congolaises, « même en cas de désaccord, cette situation ne devrait pas se
reproduire ».
Des lois sur la presse toujours plus répressives
Le 2 juillet 1996, le président Pascal Lissouba promulgue une nouvelle loi
sur la presse : sur les 122 articles que comporte le texte, pas moins de 46
portent sur la répression des délits de presse. Ainsi, la loi prévoit des
peines allant de six mois à cinq ans de prison, et des amendes de 100 000 à
5 millions de francs CFA (150 à 7 600 Euros) dans le cas « d’offense au chef
de l’Etat », de « diffusion de fausses nouvelles » ou « d’atteinte à l’ordre
public ». L’article 10 autorise le gouvernement à « réquisitionner pendant 45
jours tout ou partie des entreprises de presse privée, en cas de troubles
portant atteinte à l’ordre public ». Les journalistes d’Etat sont astreints
au devoir de « loyauté » envers le gouvernement. Le texte prévoit également la
création d’un organe chargé de vérifier la véracité des informations
publiées par les journaux privés. Les dirigeants du Club de la presse libre,
une organisation non gouvernementale regroupant des journalistes de la
presse privée, jugent ce texte « drastique ». « Nous avons tenté d’expliquer au
Sénat qu’il fallait une nouvelle mouture du texte encourageant l’exercice du
métier, mais rien à faire, le Sénat, à l’instar de la première chambre, a
reconduit le texte en l’état », explique Bernard Mackiza, président du Club
et ancien rédacteur en chef de La Semaine africaine.
Un nouveau projet de loi, actuellement en préparation, est encore plus
répressif que la loi sur la presse actuelle. Tout en adoptant une forme plus
moderne – le texte inclut notamment des dispositions concernant l’Internet –
le contenu de certains articles prévoit une aggravation des sanctions
encourues par les journalistes. Ainsi, pour l’offense au président de la
République, la peine de prison minimum sera d’un an, alors qu’elle est
aujourd’hui de six mois. Le maximum de la peine demeure très sévère : cinq
ans. Certaines mesures prévues dans les articles 90 et 92 du projet de loi
limitent également la circulation de l’information. Ces deux articles
permettent aux détenteurs des informations officielles (administrations,
ministères, entreprises publiques, etc.) de refuser – sous différents
prétextes qui ne sont pas définis précisément -, de communiquer ces
informations aux journalistes.
Conclusions et recommandations
Des médias audiovisuels publics fermés à l’opposition, des journaux privés
largement contrôlés par le pouvoir, des journalistes toujours à la merci de
l’arbitraire, une loi sur la presse en préparation encore plus répressive
que la précédente : le bilan du président Denis Sassou-Nguesso, en termes de
liberté de la presse, est loin d’être satisfaisant du point de vue des
propres engagements de Brazzaville en matière des droits de l’homme et de
liberté d’expression (le Congo a ratifié le Pacte international relatif aux
droits civils et politiques).
Lors des rencontres entre la délégation de Reporters sans frontières et les
ministres de la Communication et de la Justice, ces derniers ont insisté
auprès de l’organisation sur la volonté du nouveau pouvoir de mettre en
place un véritable pluralisme de l’information. Pour que ces promesses
deviennent réalité, Reporters sans frontières demande aux autorités
congolaises :
– de procéder à une révision de la loi sur la presse de juillet 1996 dans un
sens plus
libéral : en supprimant par exemple toutes les peines de prison pour des
délits comme l’offense au chef de l’Etat, la diffusion de fausses nouvelles,
l’atteinte à l’ordre public, la diffamation, etc,
– de signer les décrets d’application des articles de la loi sur la presse
de juillet 1996 qui permettent la création de radios et de télévisions
privées,
– d’ouvrir les médias audiovisuels publics à l’ensemble des sensibilités
politiques et aux différents acteurs de la société civile,
– de mettre fin aux agissements des forces de sécurité à l’encontre de
journalistes ou de médias accusés de soutenir les « rebelles »,
– et plus généralement de respecter scrupuleusement l’article 19 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et l’article 10 de la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, deux textes ratifiés
par le Congo.
Par ailleurs, Reporters sans frontières tient à demander aux journalistes
congolais de respecter à la lettre les règles d’éthique et de déontologie
professionnelles telles que définies dans la Charte des droits et des
devoirs des journalistes adoptée à Munich en 1971.
Enfin, Reporters sans frontières demande aux bailleurs de fonds
internationaux et notamment à l’Union européenne et à la France, de
conditionner toute aide aux médias publics à la prise en compte par les
autorités de Brazzaville des recommandations faites ici, concernant tout
particulièrement la modification de la loi sur la presse et l’ouverture de
l’audiovisuel public aux différentes sensibilités politiques.