Juillet 2021 en Afrique : un tour d’horizon de l’état de la liberté d’expression réalisé par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX, sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Le mois a commencé par un succès historique pour la Gambie : une initiative collaborative, lancée il y a cinq ans entre la Gambia Press Union, membre de l’IFEX, des organisations de la société civile et le gouvernement a abouti, le 1er juillet, à l’adoption historique de la loi 2021 sur l’accès à l’information.
Dans son analyse datant d’un peu moins de dix ans, la Plateforme africaine sur l’accès à l’information (APAI – African Platform on Access to Information) avait attribué à la Gambie la note de 1 sur 10 (score le plus bas) dans son évaluation de l’environnement de l’accès à l’information (ATI – Access To Information). L’analyse de l’APAI notait : « En Gambie, vous pouvez rarement accéder aux informations dont vous avez besoin, indépendamment du fait que, lorsqu’elles sont disponibles, ces informations sont rarement assorties de restrictions ou de conditions sur leur utilisation ou leur publication. »
La nouvelle loi ATI 2021 en Gambie est une histoire de persévérance, de détermination et de volonté politique. Bien que la campagne en faveur d’une législation sur l’accès à l’information ait commencé sous la présidence de Yahya Jammeh, elle a pris une plus grande ampleur après l’arrivée au pouvoir du président Adama Barrow.
[Traduction : Loi ATI adoptée en #Gambie après de nombreuses années de processus inclusif avec les OSC et le gvt Bravo @gmpressunion et tout @ARTICLE19Gambia Cc @binjaiteh @article19wafric @AbNkuru @SyllaSow1 Un bon pas dans la bonne direction. Plus de travail à venir pour le reste des réformes. #transition ]
_____________________
[[Traduction : Actuellement à la session de la @GambiaAssembly : projet de loi sur l’accès à l’information ADOPTÉ ! Une loi qui vise à assurer la transparence et la redevabilité. @FatouJagneS @article19wafric @ElianeNyobe @grtsofficial @QTV_Gambia @mashanubian @gmpressunion @binjaiteh @article19org]
En 2016, le GPU et la CSO Coalition on Freedom of Information – un consortium de plus d’une centaine d’organisations de la société civile, de syndicats et de groupes de citoyens – ont travaillé en partenariat avec le gouvernement par l’intermédiaire du ministère de la Justice. Le ministre de la Justice Aboubacar Tambadou, cité comme l’une des 100 personnes les plus influentes en 2020 par le magazine TIME, a finalement présenté le projet de loi à l’Assemblée nationale en décembre 2019. En 2020, le GPU a mené une vigoureuse campagne nationale de sensibilisation du public dans le cadre de son initiative visant à renforcer le consensus en Gambie sur l’accès à l’information et l’autorégulation des médias.
[Traduction : Jour 4 sur 7 : notre caravane à Kombo a rencontré les habitants de Sanyang et des communautés environnantes à WCR, pour discuter de l’#accesstoinformation et mobiliser le soutien pour une loi #ATI en #Gambie @UNDP_LaGambie ]
Commentant l’adoption de cette loi, le président du GPU, Sheriff Bojang Jr., a déclaré: « C’est une indication que tous les partis politiques, et de fait chaque Gambien, sont en faveur de l’accès à l’information, car cela a été la pièce manquante dans la quête de la Gambie pour une véritable démocratie ».
Une autre victoire pour l’accès à l’information au Ghana
Une autre victoire de l’ATI sur le continent ce mois-ci s’est produite lorsque la Commission ghanéenne du droit à l’information a ordonné à la Commission des minerais du pays d’accéder à la demande d’information d’Evans Aziamor-Mensah pour un coût de 0,33 dollar US, et non de 1 000 dollars US, initialement demandés.
[Traduction : La Commission ghanéenne du droit à l’information (RTI) a rendu une décision que beaucoup considèrent comme historique. Elle marque l’engagement de la Commission à assurer une mise en œuvre efficace de la nouvelle loi RTI du pays (RTI Act, 2019, Act 989).]
Evans Aziamor-Mensah est journaliste à The Fourth Estate, un projet de journalisme d’investigation indépendant à but non lucratif établi par la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA – Media Foundation for West Africa), membre de l’IFEX, qui se concentre sur la promotion de la transparence, de la redevabilité et de la lutte contre la corruption en Afrique de l’Ouest.
Bien que l’article 21 (1) (f) de sa constitution de 1992 garantisse explicitement que les informations générées par les institutions publiques doivent être accessibles à tous les citoyens, le Ghana n’a adopté sa loi RTI qu’en mars 2019. Grâce à son travail de suivi, la fondation MFWA a découvert que malgré l’adoption de la loi RTI, la sensibilisation et la mise sur pieds de mesures d’exécution restent plutôt faibles.
À la fin de l’année dernière, MFWA a porté plainte contre le régulateur – la National Communications Authority – pour avoir facturé 2 000 GHC (337 dollars US) une demande d’informations sur les stations de radio qu’elle avait fermées. La décision judiciaire en juin 2021 a été une déception.
Conformément à son mandat, qui est d’assurer au public un accès facile à l’information, la MFWA encourage les institutions publiques à maintenir leurs tarifs pour demande d’information à un taux symbolique afin que tous, y compris les groupes marginalisés et à risque, puissent se permettre de payer pour l’information recherchée.
Enquête sur le harcèlement sexuel
Une enquête sur le harcèlement sexuel dans huit pays africains menée par WAN-IFRA Women in News (WIN) en collaboration avec la City University of London a révélé des statistiques choquantes : 1 femme sur 2 travaillant dans le secteur des médias a subi une forme de harcèlement sexuel.
L’enquête visait à collecter des informations crédibles sur l’ampleur du harcèlement dans les médias en Afrique et à établir ce qui était fait pour rendre les salles de rédaction plus sûres. Elle a interrogé 584 répondants de huit pays à travers le continent : le Botswana, le Kenya, le Malawi, le Rwanda, l’Ouganda, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe.
[Traduction : « Au Kenya, 77,5 % des femmes participantes [à une enquête auprès de journalistes et de professionnelles de l’information] ont déclaré avoir été victimes de harcèlement sexuel au travail et 40 % ont déclaré en avoir subi cinq fois ou plus. »]
L’enquête a révélé que le plus grand obstacle pour les personnes ciblées à se manifester est que les auteurs sont souvent des cadres ou des superviseurs – des personnes ayant plus de pouvoir qu’elles. Elle a également souligné « des témoignages bien trop similaires dans les rédactions de la région – et … a révélé que 43 % des individus au genre non conforme et 19,5 % des hommes avaient fait l’objet de sollicitations sexuelles non désirées ».
Dans le but de rendre les salles de rédaction plus sûres, WIN travaillera avec des partenaires dans les huit pays africains cités pour établir des politiques sur le harcèlement sexuel avec des mécanismes de signalement clairs.
Des femmes transgenres camerounaises libérées
L’annonce d’une libération anticipée des femmes transgenres camerounaises Shakiro (Njeuken Loic) et Patricai (Mouthe Roland) le 13 juillet a été une belle surprise. Elles ont été arrêtées le 8 février dernier, alors qu’elles dînaient, pour travestissement, outrage à la décence et non présentation de pièce d’identité. Shakiro et Patricia ont été reconnues coupables de « tentative d’homosexualité » et condamnées à une peine de cinq ans de prison.
Les deux femmes ont décrit les cinq mois qu’elles ont passés en prison comme « un enfer ».
La mère de Shakiro, Joséphine Njeukam, a déclaré à Reuters : « Ce jour est le plus beau jour de ma vie parce que je ne croyais pas que ces enfants sortiraient de prison avec leur santé intacte ».
Agba Jalingo obtient réparation pour torture
La culture de l’impunité profondément ancrée au Nigéria a connu un revers ce mois-ci lorsque la Cour de justice de la Communauté de la CEDEAO a ordonné au gouvernement nigérian de verser au journaliste Agba Jalingo environ 73 000 US dollars de dommages et intérêts. Le tribunal régional d’Afrique de l’Ouest a accordé cette indemnité « pour les mauvais traitements et tortures infligés à Jalingo pendant sa détention dans l’État de Cross River ».
Amnesty International avait classé Agba Jalingo comme prisonnier d’opinion, et, en 2019, dans le cadre de ses activités de la Journée internationale pour mettre fin à l’impunité, la One Free Press Coalition a classé la détention de Agba Jalingo parmi les 10 menaces les plus urgentes contre la liberté de la presse dans le monde.
Jalingo a été arrêté en août 2019 pour trahison – une accusation passible d’une peine d’emprisonnement à perpétuité – pour un article qu’il a publié sur son site Web Cross River Watch et sa page Facebook, accusant le gouverneur de Cross River Benedict Ayade d’avoir détourné 1,2 million de dollars américains destinés à une institution de micro-finance. Son arrestation serait également liée à ses liens politiques avec un autre militant, Omoyele Sowore, également en prison à l’époque.
Le procès a été parsemé d’irrégularités, notamment le recours à des témoins anonymes. En décembre 2019, le juge Simon Amoeba de la Haute Cour a dû se récuser de l’affaire après la fuite d’un enregistrement audio de lui où il a fait des remarques biaisées sur Jalingo et son équipe défense.
Jalingo a finalement été libéré sous une caution astronomique d’environ 24 mille dollars US en février 2020, après avoir passé plus de six mois derrière les barreaux. Son procès pour trahison est toujours en cours.
Le mensuel éthiopien Addis Standard sur la sellette
Fondé en 2011 par la journaliste Tsedale Lemma, le mensuel Addis Standard est l’un des rares médias dirigés par une femme sur le continent africain. Il est devenu un magazine d’information indépendant de premier plan dans un domaine d’ordinaire dominé par les médias affiliés politiquement ou gérés par l’État. Tout au long de sa décennie d’existence, il a subi le harcèlement et la persécution des différents gouvernements à la tête de l’Éthiopie, en particulier pendant les crises.
La plus récente brimade de l’État contre la publication a été la suspension temporaire de sa maison d’édition, Jakenn PLC, par l’Autorité éthiopienne des médias (EMA- Ethiopia Media Authority). En ciblant l’entité de publication, l’État a effectivement interrompu la diffusion du mensuel et du site Web d’information en anglais. Après une réunion entre les responsables de l’EMA et la direction d’Addis Standard pour discuter du problème, la publication a été de nouveau disponible en ligne.
[Traduction : #Ethiopie : Avis public suspendant nos activités ! La direction de JAKENN regrette profondément et est troublée par la décision prise aujourd’hui par l’Autorité éthiopienne des médias (@EthMediaAuth) de révoquer la licence récemment accordée à JAKENN sans explication suffisante.]
La suspension par l’EMA de l’Addis Standard et d’autres médias est intervenue à la suite d’une ordonnance restrictive notifiée à toutes les publications de ne pas « dénaturer l’image du nord du pays, déchiré par la guerre du Tigré ». Plus précisément, les médias locaux et étrangers ont été mis en garde contre toute référence au Front populaire de libération du Tigré (TPLF- Tigray People’s Liberation Front) en tant qu’armée nationale en l’appelant « Tigray Defence Force » ou TDF. Les médias ont été avertis qu’ils subiraient des conséquences s’ils « cadraient mal » le conflit en soutenant le TPLF, que le gouvernement éthiopien qualifie officiellement d’organisation terroriste.
L’EMA prétend avoir agi sur la base de plaintes reçues, accusant l’Addis Standard de promouvoir l’agenda du TPLF dans ses reportages. Quand bien même, l’EMA n’a pas suivi la procédure règlementaire en suspendant la publication. L’EMA a restitué sa licence à la maison d’édition, permettant à l’Addis Standard de reprendre ses activités, tout en enquêtant sur les plaintes.
[Traduction : Avis public sur la reprise de la publication d’@AddisStandard & précisions supplémentaires https://addisstandard.com/public-notice-on-resumption-of-addis-standard-publication-and-further-clarification/…Sur la base des discussions constructives entre l’EMA & la rédaction de l’AS, l’EMA a accepté de restituer la licence de l’AS. En conséquence, il lui a rendu le document aujourd’hui.]
L’Afrique du Sud secouée par des émeutes
Initialement déclenchées par l’incarcération de l’ancien président sud-africain Jacob Zuma pour outrage au tribunal, les meurtrières manifestations #FreeJacobZuma ont laissé des traces de destruction dans certaines parties du pays : entreprises pillées et usines incendiées.
Jacob Zuma a été condamné à 15-mois de prison pour outrage au tribunal pour avoir refusé de comparaître devant une commission chargée d’enquêter sur la corruption au cours de son mandat de président de 2009 à 2018. Les tensions ont été attisées lorsque Zuma a refusé de se conformer à l’ordre, mais il s’est finalement rendu de lui-même pour purger sa peine. Les émeutes ont repris peu après, à la mi-juillet.
Les médias ont été pris dans la mêlée. Les journalistes ont d’abord été menacés par la famille et les partisans de Zuma. L’impasse politique se prolongeant, les menaces se sont transformées en attaques physiques, avec de nombreux incidents signalés dans tout le pays. Une équipe de reportage de SABC a été dépouillée sous la menace d’une arme et un autre diffuseur, Newzroom Afrika, a vu son véhicule endommagé lors des manifestations. Quatre radios communautaires – Alex FM, Mams Radio, West Side FM dans la province du Gauteng et Intokozo FM dans la province du Kwazulu Natal – ont interrompu leurs émissions après le vol du matériel de diffusion par des pillards.
[Traduction : Un véhicule de Newzroom Afrika a été saccagé par des manifestants du #GautengShutdown à Johannesburg. Notre journaliste @ahmedkajee nous explique ce qu’il s’est passé. Regardez : http://bit.ly/3xEFwle #Newzroom405 ]
Quelques jours après les attaques, des radiodiffuseurs et d’autres opérateurs du secteur, par le biais de la National Broadcasters Association, se sont mobilisés pour aider les stations de radio concernées à reprendre leurs émissions.
En bref
Après avoir reçu des messages de menace via Facebook Messenger, la journaliste libérienne Aryee Davis a demandé la protection d’un membre de l’IFEX, le Center for Media Studies and Peacebuilding (CEMSP). Les messages proviennent de partisans d’Alex Grant, membre de la Chambre des représentants du Libéria, après qu’elle eut signalé que le député avait falsifié ses diplômes universitaires. La Coalition pour les femmes dans le journalisme (CFWIJ – Coalition For Women In Journalism) a exigé que les autorités responsables de la cybersécurité s’attaquent immédiatement aux menaces contre Arvee Davis et toutes les autres femmes dans les espaces en ligne.
Exprimant son indignation et sa consternation, la MFWA pense que le meurtre du militant social ghanéen Ibrahim Anyass Muhammed, surnommé Kaaka, pourrait cimenter une « culture du silence » qui décourage les citoyens de s’exprimer sur les questions de développement social.
Comme dans plusieurs autres pays du continent, les autorités angolaises se tournent vers les clauses pénales de la diffamation dans le Code pénal pour faire monter la pression sur les journalistes. Deux journalistes inculpés pour des faits distincts, Coque Mukuta et Escrivão José, risquent jusqu’à 18 mois de prison s’ils sont reconnus coupables de diffamation dans leur affaire respective.
Les Zambiens se rendront aux urnes le 12 août dans un contexte de rétrécissement de l’espace civique et de répression. Dans son dernier rapport intitulé Zambia: Ruling By Fear and Repression (La Zambie dirigée par la peur et la répression), Amnesty International souligne la détérioration marquée du paysage des droits humains en Zambie. « Les gens peuvent de moins en moins se réunir librement en public, participer à des manifestations publiques ou protester contre les actions du gouvernement sans être soumis à l’intimidation et au harcèlement de la police. Craignant des représailles, de nombreuses personnes et les médias se réfugient dans le silence et l’autocensure. »
Dans le prochain tour d’horizon régional pour l’Afrique de l’IFEX, le mois prochain, nous examinerons plus en profondeur le paysage pré et post électoral dans le pays.
Récent et intéressant
La liste des finalistes des prix de la liberté d’expression 2021 d’Index on Censorship comprend le journaliste djiboutien Kadar Abdi Ibrahim et la journaliste nigérienne Samira Sabou. Ces prix célèbrent des individus ou des collectifs qui ont eu un impact significatif dans la lutte contre la censure. Les lauréats seront annoncés lors du gala annuel des Prix de la liberté d’expression, le 12 septembre 2021.
Sept militantes luttant pour améliorer les droits des LGBTQI+ à travers l’Afrique sont présentées dans un article du magazine Vogue de la poétesse et journaliste nigériane queer Ugonna-Ora Owoh. Ses œuvres ont été publiées dans plusieurs publications dont The Independent, Stylist Magazine et OkayAfrica.
The African Lookbook: A Visual History of 100 Years of African Women, le livre de Catherine E McKinley, est ce qu’elle-même appelle « une histoire d’héritage ». Al Jazeera le décrit ainsi : « le rôle jusque-là ignoré des photos de sujets féminins, et avec lui, l’histoire du tissu qu’elles portaient et des machines à coudre qui l’ont transformé en mode. Pour les femmes, et en particulier pour celles qui posent sur les photos, le tissu était un moyen de raconter une histoire sur elles-mêmes : les impressions, la teinture, la façon dont elles l’avaient drappé, porté, coupé et cousu. »