Tandis que les défenseurs de la libre expression saluaient en janvier la décision des tribunaux turcs d’abandonner les accusations de diffamation contre l’auteur Orhan Pamuk, une dizaine d’autres affaires mettant en cause des journalistes et des éditeurs qui doivent répondre à des accusations du même genre restent pendantes. Ce mois-ci, des membres de l’IFEX contribuent […]
Tandis que les défenseurs de la libre expression saluaient en janvier la décision des tribunaux turcs d’abandonner les accusations de diffamation contre l’auteur Orhan Pamuk, une dizaine d’autres affaires mettant en cause des journalistes et des éditeurs qui doivent répondre à des accusations du même genre restent pendantes. Ce mois-ci, des membres de l’IFEX contribuent à attirer l’attention internationale sur ces affaires en dépêchant des observateurs aux procès.
Le PEN de Norvège a envoyé une délégation à Istanbul pour suivre de près les procès de ces personnes, parmi lesquelles se trouvent Hrant Dink, rédacteur en chef d’un magazine arménien, et cinq journalistes accusés d’« entraver » le système judiciaire en critiquant les tentatives en vue d’interdire une conférence sur les Arméniens.
Les procès des cinq journalistes sont également suivis par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), qui demande l’abandon des accusations portées contre Murat Belge, Haluk Sahin, Erol Katircioglu, Ismet Berkan et Hasan Cemal. Ils sont tous accusés, aux termes de l’article 288 du code pénal turc, d’avoir tenté par leurs écrits d’influencer l’issue d’un procès.
À l’exception de Berkan, tous les autres doivent aussi répondre à l’accusation portée aux termes de l’article 301 d’avoir publiquement dénigré le « caractère turc » et les institutions de l’État turc. S’ils sont reconnus coupables, ils risquent des peines variant de six mois à 10 ans d’emprisonnement.
Les accusations résultent des chroniques des journalistes publiées dans les journaux « Radikal » et « Milliyet », qui ont critiqué avec force les jugements des tribunaux turcs qui ont interdit l’an dernier la tenue d’une conférence universitaire sur la question des Arméniens tués pendant les derniers jours de l’Empire ottoman.
Quatre éditeurs doivent également comparaître en cour parce qu’ils auraient violé l’article 301 du code pénal, dit l’Union internationale des éditeurs (UIE).
Ahmet Onal, propriétaire de la maison d’édition Peri, est accusé d’avoir publié un livre de Murat Coskun intitulé « La langue de la souffrance : La Femme ». Fatih Tas est accusé d’avoir insulté l’Armée turque par la publication d’une traduction d’un livre de John Tirman, intitulé « Spoils of War: The Human Cost of America’s Arms » [Dépouilles de guerre : Le coût humain des armes américaines]. L’ouvrage documente les violations des droits de la personne commises par l’armée turque contre les Kurdes.
Abdullah Yildiz, de la maison d’édition Literatür, risque quant à lui plusieurs années de prison pour avoir publié « Les Sorcières de Smyrne » de l’auteure grecque Mara Meimaridi. Le roman se déroule à Izmir (Smyrne) pendant les dernières années de l’Empire ottoman, et certains passages décrivent les quartiers turcs de la ville comme des quartiers sales. M. Yildiz est accusé de « dénigrer l’identité nationale turque ».
Pour sa part, Ragip Zarakolu, co-fondateur et propriétaire de la maison d’édition Belge, est accusé d’avoir « insulté et sapé l’État » par la publication d’un livre de Dora Sakayan intitulé : « Journal de Garabed Hacheryan à Izmir : Les expériences d’un médecin arménien » et d’un autre ouvrage de George Jerjian intitulé : « L’Histoire nous libérera tous ? La Conciliation turco-arménienne ».
Le mois dernier, les défenseurs de la libre expression ont remporté une victoire lorsqu’un tribunal d’Istanbul a rendu une ordonnance de non-lieu dans l’affaire Orhan Pamuk. Pamuk était accusé d’avoir offensé l’État turc après avoir été cité dans un magazine suisse, selon qui il aurait déclaré qu’« un million d’Arméniens et 30 000 Kurdes ont été tués en [Turquie], et personne sauf moi n’ose en parler ».
Son procès a beaucoup attiré l’attention internationale et a conduit de hauts dignitaires de l’Union Européenne à critiquer la Turquie qui ne parvient pas à réformer convenablement ses lois pénales en matière de diffamation (voir à : http://ifex.org/en/content/view/full/71817/).
D’après le PEN International, une soixantaine environ d’écrivains, d’éditeurs et de journalistes ont été traînés devant les tribunaux en Turquie au cours de la dernière année, un grand nombre d’entre eux étant accusés aux termes de l’article 301. Cet article dispose qu’« une personne qui insulte de manière explicite l’identité turque, la République ou la Grande Assemblée nationale turque, est passible d’une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans ».
Consulter les sites suivants :
– PEN de Norvège : http://www.norskpen.no/
– CPJ : http://www.cpj.org/news/2006/mideast/Turkey06feb06na.html
– UIE : http://www.ipa-uie.org/
– PEN International : http://www.internationalpen.org.uk/index.php?pid=33&aid=427
– Campagne contre l’article 301 : http://www.bianet.org/2006/02/01_eng/news74199.htm
– Antenna : http://www.antenna-tr.org/index.asp?lgg=en
– Dossier de Human Rights Watch sur la Turquie : http://www.hrw.org/english/docs/2006/01/18/turkey12220.htm
– Rapport intérimaire de l’UE sur la Turquie : http://tinyurl.com/byqwy