Un tour d’horizon des principales informations sur la libre expression en Afrique, basé sur les rapports des membres de l'IFEX.
Juillet a été le mois des élections controversées, qui ont abouti à des résultats contestés aussi bien au Mali qu’au Zimbabwe. Cela s’est déroulé parallèlement à un référendum constitutionnel polarisant sur l’île des Comores. En plus des incidents politiques de ce mois, Twaweza, un organisme indépendant de recherche, a eu sept jours pour « s’expliquer » pour avoir publié les résultats d’un sondage indiquant une baisse de popularité du président tanzanien John Magufuli parmi les citoyens.
Élection malienne entachée d’irrégularités
Le premier tour de l’élection au Mali, qui a vu le président sortant Ibrahim Boubacar Keita (connu sous le sobriquet d’IBK) remporter 41,4% des suffrages et son plus proche rival Soumaila Cissé se classer loin derrière avec 17,8%, était tellement gravement entaché de violences et d’irrégularités électorales que le second tour de l’élection présidentielle s’est déroulé dans un climat de très haute sécurité.
Le jour du scrutin dans la capitale Bamako aurait été pacifique, mais il y avait des coins du pays où le vote avait été arrêté en raison des rapports des violences, dont des bureaux de vote incendiés. Au total, 105 bureaux de vote sont restés fermés pour des raisons de sécurité. Plusieurs candidats à l’élection présidentielle ont accusé le gouvernement de fraude et de bourrage d’urnes. Le directeur de la campagne du chef de l’opposition, M. Cissé, a décrit un incident au cours duquel, dans un « village de 150 habitants, 3 000 personnes ont voté ». D’autres allégations disaient que des personnes avaient monnayé leurs votes contre des engrais et du cash.
Le premier tour des élections s’est déroulé sur fond de plusieurs années d’insécurité provoquée par des conflits ethniques et des insurrections dans le nord du pays par des groupes extrémistes militants. L’atmosphère chargée et tendue s’est poursuivie alors que l’opposition avait mis en garde contre des anomalies dans les listes électorales et des restrictions à la liberté d’expression. Une manifestation de l’opposition au début du mois de juin a été brutalement dispersée avant qu’elle ne commence. Une manifestation ultérieure de la principale coalition d’opposition malienne, appelant à un vote présidentiel transparent et à une couverture meilleure et équitable, s’est déroulée quelques jours plus tard sans incident. À peu près au même moment, les organisateurs des élections ont mis fin à leur grève de deux semaines pour dénoncer leurs mauvaises conditions de travail et de vie.
Conscientes de ces conditions, les campagnes électorales d’IBK et des 23 autres prétendants – dont une seule était une femme – se sont concentrées sur la stabilisation du pays, la revitalisation de l’économie et la création d’emplois. Bien qu’il soit classé au troisième rang mondial des producteurs d’or, le Mali reste l’un des pays les plus pauvres du monde, avec une population de jeunes en pleine expansion et confrontée à peu d’opportunités prometteuses.
Pour le deuxième tour de la présidentielle au mois d’août, au cours duquel Keita est clairement considéré comme le favori, les espoirs du peuple malien restent les mêmes: nourriture, emploi, éducation et, bien sûr, sécurité.
La violence éclate au Zimbabwe à la suite des élections vivement contestées
L’élection au Zimbabwe à la fin du mois de juillet a été l’une des plus surveillées sur le continent ces dernières années. Elle s’est également avérée être aussi vivement disputée et mouvementée que l’élection présidentielle au Mali. La forte participation au scrutin, dans une atmosphère relativement paisible et calme, s’est lentement détériorée, culminant quelques jours plus tard en une manifestation violemment dispersée par l’armée. Six personnes ont été tuées et 14 autres blessées lorsque des manifestants sont descendus dans les rues après l’annonce disant que le parti au pouvoir, le Zanu PF, avait remporté la majorité des deux tiers aux législatives.
Cette élection s’est caractérisée par un certain nombre de nouveaux développements importants pour le Zimbabwe: le président Emmerson Mnangagwa et son équipe ont ouvert les frontières aux observateurs régionaux et internationaux précédemment exclus; et l’ancien président Robert Mugabe avait disparu des bulletins de vote pour la première fois depuis l’indépendance, ayant été démis de ses fonctions par une intervention militaire en novembre 2017. Une autre première était l’absence du principal adversaire politique de Mugabe, le défunt Morgan Tsvangirai. Comme principale figure de l’opposition dans cette élection particulière. Avant les élections, le parti d’opposition MDC s’est scindé en deux, le MDC Alliance, dirigée par Nelson Chamisa, et le MDC-T, dirigée par l’ancien vice-président du parti Thokozani Khupe. Khupe était l’une des nombreuses femmes candidates qui ont subi un déluge d’insultes abusives et agressives en ligne.
L’environnement pré-électoral du Zimbabwe était émaillé d’accusations d’illégaux votes par correspondance, d’une apparente tentative d’assassinat contre le président Mnangagwa, de tactiques d’intimidation des électeurs et d’une violation des informations personnelles liées aux élections.
Au centre de la plupart des controverses se trouvait la Commission électorale du Zimbabwe (ZEC), accusée à plusieurs reprises de parti pris en faveur du gouvernement. La ZEC a passé la majeure partie de la période précédant le vote à chercher maladroitement des voies de sortie de plusieurs gaffes embarrassantes, sapant davantage la confiance et la crédibilité de l’institution. Les électeurs inscrits étaient inquiets quand ils recevaient des messages de campagne personnalisés sur leurs téléphones portables de candidats du parti au pouvoir se présentant aux élections locales. La surprise mêlée d’inquiétudes était un peu plus à son comble lorsque la présidente de la ZEC, Priscilla Chigumba, a admis qu’une demande de vérification du fichier biométrique des électeurs (BVR) par des cabinets d’audit externe avait été rejetée.
Ces questions et d’autres, dont la plupart sont centrées sur le paysage électoral, font maintenant l’objet d’une contestation auprès de la Cour constitutionnelle par le dirigeant du MDC Alliance, Nelson Chamisa, qui affirme qu’il est le vainqueur légitime de l’élection présidentielle et qu’on lui a volé sa victoire.
Pour en savoir plus sur les élections au Zimbabwe, consultez mon agenda Zimbabwe Election Watch.
Référendum constitutionnel aux Comores
Le 30 juillet, les électeurs des Comores se sont rendus aux urnes pour un référendum constitutionnel controversé, qui a permis au président Azali Assoumani de prolonger son mandat présidentiel. La victoire du président Assoumani au référendum lui permet également de dissoudre la Cour constitutionnelle, de mettre fin au système de rotation de pouvoir entre les trois îles principales de l’archipel et de supprimer les postes des trois vice-présidents de ces îles.
Selon le New York Times: « La constitution actuelle exige une présidence rotative tous les cinq ans entre les candidats des trois principales îles du pays, un arrangement destiné à promouvoir la stabilité et le partage du pouvoir dans un pays qui a connu plus de 20 coups d’Etat ou tentatives de coup d’Etat depuis sa déclaration d’indépendance vis-à-vis de la France en 1975. »
L’opposition, qui a décrit le référendum comme une stratégie de prise de pouvoir et de maintien au pouvoir par le président, a déjà été sévèrement critiquée. Quelques jours après le référendum national, plusieurs membres de l’opposition aux Comores ont été arrêtés pour avoir boycotté le référendum, tandis que d’autres sont entrés en clandestinité. En mai de cette année, le chef de l’opposition et prédécesseur à la présidence, Ahmed Abdallah Sambi, a été placé en résidence surveillée.
Les troubles politiques qui ont toujours hanté le pays se sont intensifiés dans les semaines qui ont précédé le référendum, avec les partis d’opposition qui sont descendus dans les rues pour réclamer le rétablissement des institutions démocratiques et exiger la destitution du président Assoumani. Les contestations ont été rapidement et violemment réprimés par la police juste quelques jours avant le référendum, quand il y a eu une tentative d’assassinat de Moustoidrane Abdou, l’un des trois vice-présidents des Comores.
Sa « victoire » lors du référendum peut être discutable mais ce qui est incontestable, c’est que, pour l’instant, les pouvoirs du président Assoumani ont été considérablement élargis.
Un totalitarisme rampant en Tanzanie
Le président tanzanien John Magufuli, connu de beaucoup sous le nom de Le Bulldozer, a été une fois salué pour avoir agi sans pitié contre la corruption et l’inefficacité en congédiant instantanément les responsables gouvernementaux accusés de ces infractions. Le président Magufuli est également intransigeant à l’égard des dissidents. Il a agi conformément à ses instincts autoritaires en traitant rapidement et durement ses opposants politiques et toute personne critique envers lui-même et ses politiques. La Tanzanie est devenue un pays où les politiciens de l’opposition sont abattus et les journalistes portés disparus.
Lors de la dernière répression, les autorités tanzaniennes ont menacé d’intenter une action en justice contre Twaweza – un organisme indépendant de recherche – pour avoir publié les résultats d’un sondage d’opinion sur la situation de la démocratie en Tanzanie. Le sondage, intitulée Dire la vérité au pouvoir? A montré que le score d’approbation de Magufuli avait chuté à 55%, soit le score le plus bas enregistré par un président dans l’histoire du pays.
Dans ce qui a été considéré comme une réaction rapide et en guise de représailles, Costech, l’organe public responsable de la science et de la technologie, a déclaré que le sondage de l’organisation n’était pas certifié et a accordé sept jours à Twaweza pour s’expliquer ou faire face à des poursuites judiciaires. Quelques semaines plus tard, les autorités tanzaniennes ont confisqué le passeport du directeur exécutif de Twaweza, Aidan Eyakuze, et lui ont interdit de voyager à l’étranger.
Les Ougandais descendent dans les rues pour protester contre la taxation des médias sociaux
La police ougandaise a fait usage des gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc contre des manifestants qui protestaient contre une nouvelle taxe obligatoire visant les utilisateurs des médias sociaux. En colère contre la taxe prohibitive, les militants ont au début commencé à diffuser des messages enregistrés au travers des haut-parleurs exhortant les utilisateurs à ne pas payer la taxe. Deux manifestants ont été arrêtés lors des manifestations à la suite d’une bagarre au cours de laquelle des policiers auraient été agressés.
La taxe quotidienne obligatoire de 5 centimes USD pour les services excédentaires (OTT pour dire en anglais over-the-top), y compris la messagerie et les appels vocaux via WhatsApp, Facebook, Skype et Viber, est entrée en vigueur le 1er juillet. Les défenseurs de la liberté d’expression ne croient pas aux explications du président Yoweri Museveni disant que les nouvelles taxes sur l’utilisation des médias sociaux « génèreront des revenus pour la nation dite la Perle d’Afrique (surnom donné à l’Ouganda par W. Churchill en 1907) ». L’échange de la liberté d’expression en Afrique « estime que c’est une tentative systématique de censure de nombreux Ougandais qui pourraient ne pas avoir les moyens de payer la nouvelle taxe quotidienne ». Ils considèrent également la taxe comme une tentative d’étouffer la liberté d’Internet et l’expression en ligne.
Surpris par la réaction de rejet des citoyens, le président Museveni a demandé au parlement de revoir la taxe controversée sur la monnaie mobile et les médias sociaux, mais ce dernier s’est prononcé en faveur de son maintien.
Trois journalistes qui couvraient les manifestations ont également été arrêtés pour « avoir couvert un rassemblement illégal sans la permission de la police ». Au poste de police, ils ont été poussés à rendre leurs enregistrements et à révéler les identités des organisateurs de la manifestation, mais ils ont refusé de le faire. Ils ont été détenus pour avoir refusé de coopérer et ont été libérés deux heures plus tard après la pression croissante des professionnels des médias et des groupes de pression.
Les journalistes dénoncent la surveillance des médias en Afrique du Sud
Dotée d’une constitution solide et d’un système de protection des droits humains solidement ancré, l’Afrique du Sud est connue pour son soutien et sa promotion de la liberté d’expression et de la vie privée. La même constitution limite également les pouvoirs des agences de sécurité, mais les journalistes d’Afrique du Sud sont toujours la cible d’espions de l’Etat.
Ceci est particulièrement vrai pour les journalistes qui enquêtent et dénoncent la corruption dans les institutions de l’État. La raison de cette surveillance est de découvrir les sources d’informations des journalistes, raison pour laquelle la campagne R2K a publié son rapport intitulé Spooked: Surveillance of Journalists in SA.
En publiant ce rapport, R2K veut que les journalistes « aient une meilleure idée des menaces auxquelles ils sont confrontés afin de mieux se défendre et de rallier le grand public à la campagne pour mettre fin à ces abus et aux mauvaises politiques qui les rendent possibles ». Le rapport examine 10 études de cas sur la surveillance des journalistes, montrant aux membres du public que l’espionnage devrait concerner tout le monde, pas seulement les membres des médias. « Bien que l’on sache depuis toujours que la loi oblige les fournisseurs de services à stocker les journaux des activités de communication de tous, en 2017, nous avons découvert que ces journaux étaient transmis aux agences de l’Etat beaucoup plus régulièrement qu’on le pensait précédemment. »
La police du Swaziland étouffe une manifestation pour les droits des travailleurs
Dans un mois marqué par la répression brutale des manifestations de rue à travers le continent, la police swazie n’a pas fait exception, avec ses attaques violentes contre des manifestants participant à une marche pacifique organisée par le Congrès des syndicats du Swaziland (TUCOSWA).
Plus de 500 membres de TUCOSWA sont descendus dans les rues pour mettre en lumière la question des droits des travailleurs dans un pays où les droits sont souvent bafoués. La manifestation a été violemment dispersée par la police à l’aide de balles en caoutchouc et de grenades assourdissantes.
Les manifestants envisageaient de présenter une pétition au bureau du vice-Premier ministre, demandant l’introduction d’un salaire minimum, des amendements à la Loi sur l’emploi et d’autres droits pour se protéger.
Le même mois, le ministre de la Santé du Swaziland, Eswatini Sibongile Ndlela-Simelane, a ordonné à la police d’arrêter un journaliste pour avoir photographié les voitures des ministres devant le bureau du vice-Premier ministre. Ndlela-Simelane a également demandé que les photographies soient détruites, ce que le journaliste a fait. Le média dans lequel travaillait le journaliste avait précédemment publié un reportage sur le mauvais état des voitures BMW des ministres. Il vérifiait une déclaration du gouvernement selon laquelle les véhicules avaient été réparés et étaient rentrés en circulation.