Mai 2021 en Afrique. Un tour d’horizon de l’état de la liberté d’expression, réalisé sur base des rapports des membres d'IFEX et des actualités de la région, par Reyhana Masters, rédactrice régionale d’IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Le 3 mai, le lâcher de 30 ballons dans le ciel nocturne de Windhoek par Gwen Lister, célèbre journaliste namibienne participant à la Conférence de la Journée mondiale 2021 de la liberté de la presse de l’UNESCO – et Zoe Titus du Namibia Media Trust, a marqué la clôture non officielle de la conférence mondiale.
Ce jour a également marqué le 30e anniversaire de l’adoption de la Déclaration de Windhoek en 1991, qui a ouvert la voie à la promotion de la liberté d’expression, envisageant des médias libres, indépendants et pluralistes en Afrique. La déclaration de 1991 a été un catalyseur pour des déclarations similaires à travers le monde, et la date de clôture de la conférence de 1991, le 3 mai, a ensuite été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, en 1993, comme Journée mondiale de la liberté de la presse.
[Traduction : Un appel au monde à chérir « l’information en tant que bien public » en renforçant le journalisme, en garantissant la responsabilité des plateformes en ligne et en inculquant la culture de l’éducation aux médias et à l’information pour que la valeur du journalisme dans la dissémination de l’information soit reconnue. #WPFD ]
La conférence hybride d’une semaine comportait des discussions sur la sécurité des journalistes, la pérennité des médias, l’éducation aux médias et le concept d’ « information en tant que bien public ». Dans son mot d’ouverture, Jamesina King, la Rapporteuse spéciale de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur la liberté d’expression et l’accès à l’information, a reconnu l’amélioration remarquable de la liberté des médias sur le continent, mais a exprimé ses inquiétudes face aux « meurtres, disparitions forcées, arrestations, harcèlement, intimidations et autres violations des droits humains qui persistent, souvent en toute impunité. »
La présentation des communications s’est terminée par des discussions et l’adoption du document Windhoek +30 qui a modernisé la déclaration originale en reconnaissant la transformation numérique et le rôle crucial d’Internet.
Au cours de la conférence, le Namibia Media Trust (NMT) et le Media Institute of Southern Africa (MISA), membre de l’IFEX, ont lancé leur encart inséré dans les journaux, l’African Free Press, et un site Web en ligne dédié qui présente des articles sur des sujets allant de la désinformation au droit et à la politique des médias en passant par la représentation des médias. MISA-Zimbabwe a également pubié un rapport régional sur les violations contre les droits des journalistes en Afrique australe, axé sur la liberté d’expression, les droits numériques, le cadre politique et juridique et les atteintes aux médias.
L’euphorie de la Journée mondiale de la presse brouillée par des meurtres et des enlèvements
Quelques semaines seulement après la célébration continentale, l’euphorie de la Journée mondiale de la liberté de la presse a été obscurcie par l’assassinat, dans des circonstances distinctes, de Barthelemy Kubanabadu Changamuka de la République démocratique du Congo et de l’Éthiopien Sisay Fida. Dans les deux cas, leurs amis rappellent que les deux journalistes avaient exprimé un sentiment d’appréhension avant d’être assassinés.
Kubanabadu Changamuka, qui travaillait à Coraki FM, une station de radio communautaire à Kitshanga, dans le Masisi, région troublée de l’est de la RDC, a été abattu à bout portant de huit balles par deux inconnus alors qu’il rentrait chez lui après avoir terminé son émission hebdomadaire à l’antenne.
[Traduction #DRC #BarthelemyKubanabanduChangamuka Vous ne tuez pas la vérité en tuant des journalistes ]
Audrey Azoulay, la Directrice générale de l’UNESCO, a condamné le meurtre de Sisay Fida et a appelé « les autorités à enquêter sur les circonstances de ce crime et à veiller à ce que ses auteurs rendent des comptes ». Fida a été abattu, le 9 mai, alors qu’il rentrait chez lui, dans la ville de Dembi Dollo, dans la région d’Oromia en Éthiopie. Avant sa mort, Fida avait reçu des menaces téléphoniques anonymes suite à la couverture de l’actualité sur l’ouest de l’Éthiopie par l’Oromia Broadcasting Network (OBN).
[Traduction : #Ethiopie: @pressfreedom est alarmé par le meurtre le 9 mai du journaliste d’un média d’État, Sisay Fida, et enquête pour déterminer s’il existe un lien entre sa mort et son travail de journaliste.]
Pendant ce temps, dans un Mali agité, qui a été très récemment suspendu de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le journaliste français Olivier Dubois a été kidnappé par un groupe armé et n’a pas encore été libéré par ses ravisseurs. Reporters sans frontières a constitué un groupe de 11 personnes et entités dont l’objectif, selon Christophe Deloire, Secrétaire général de RSF, est de « coordonner la stratégie et les initiatives de la société civile en faveur de la libération de ce journaliste français, et de mener des actions de sensibilisation, de communication et de plaidoyer aussi longtemps que nécessaire pour atteindre cet objectif. »
#IDAHOBIT : les revers de la mobilisation LGBTQI en Afrique
Juste à la fin du mois de mai, Frank Mugisha, le directeur exécutif de Sexual Minorities Uganda (SMUG), a été arrêté ainsi que 44 membres de la communauté LGBTQI+ en Ouganda, lors d’un raid. Au jour de publication, nous n’avions pas plus de plus d’informations.
Ironie de ce raid et des arrestations : elles illustrent les nombreuses luttes et problèmes de la communauté LGBTQI+ à travers l’Afrique qui ont été mis en évidence le 17 mai pour marquer la Journée internationale contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie (IDAHOBIT) sous le thème « Ensemble : résister, soutenir, guérir ! »
Frank Mugisha et son organisation ont fait pression pour la suppression de l’article 11 du projet de loi ougandais sur les délits sexuels, qui a été adopté par le Parlement le 3 mai. Le projet de loi propose des mesures de protection pour lutter contre la violence sexuelle, en protégeant les droits des victimes d’agressions sexuelles pendant les procédures pénales et en criminalisant le harcèlement sexuel par des personnes en position d’autorité. Ces clauses progressistes côtoient des dispositions qui criminalisent les relations sexuelles consensuelles entre adultes de même sexe et interdisent les relations sexuelles anales. Human Rights Watch (HRW) souligne que le projet de loi « prévoit même que si des Ougandais commettent ces actes en dehors de leur pays, ils peuvent être poursuivis en Ouganda ». Le projet de loi attend maintenant l’approbation présidentielle.
[Traduction : Pourquoi nous voulons que le projet de loi sur les délits sexuels soit abrogé. #RepealSOBUg #DeleteClause11 ]
Amnesty Kenya et la Commission nationale des droits humains des gays et des lesbiennes (NGLHRC) ont publié une déclaration conjointe appelant à une plus grande protection, en particulier, des réfugiés LGBTQI+. La déclaration faisait référence à la mort de Chriton Atuhwera dans un incendie criminel homophobe au camp de Kakuma, qui abrite 160 000 réfugiés du Soudan du Sud, du Soudan, de la Somalie, de la République démocratique du Congo, du Burundi, de l’Éthiopie et de l’Ouganda.
Cinq jours seulement avant IDAHOBIT, la maquilleuse et influenceuse camerounaise et les célébrités Njeuken Loic (alias Shakiro) et Mouthe Roland (alias Patricia) ont été condamnées à cinq ans de prison et à une amende de 200 000 francs CFA (environ 300 euros).
[Traduction : Un tribunal camerounais a condamné 2 femmes transgenres, Shakiro et Patricia, à 5 ans de prison pour « tentative d’homosexualité » et autres délits. Elles ont été arrêtés parce qu’elles portaient des vêtements féminins dans un restaurant. ]
Ces femmes ont été arrêtées en février 2021 (principalement pour travestissement) alors qu’elles dînaient au restaurant. Elles ont été poursuivies pour « tentative de conduite homosexuelle », outrages aux bonnes moeurs et non-possession de leurs cartes d’identité. Les deux se sont vues refuser la libération sous caution tandis que le procès, initialement prévu le 24 mars, a été reporté à deux reprises. Le jugement définitif a été rendu le 11 mai.
Pour les deux femmes transgenres, leur emprisonnement dans une prison pour hommes équivaudrait à une condamnation à mort.
Même le Ghana, le « phare des droits humains » en Afrique, a intensifié la répression contre sa communauté LGBTQI+.
Le 16 mai, la police, accompagnée de journalistes, a fait une descente dans une réunion, a arrêté et détenu 21 personnes, les accusant de rassemblement illégal. Selon un article de Reuters : « L’organisation de défense des droits Rightify-Ghana a déclaré que le groupe s’était réuni pour partager des informations sur la façon de documenter et de signaler les violations des droits humains subies par les LGBT+ ghanéens.
[ Traduction : La montée des violences homophobes institutionnelles sur le continent africain est profondément préoccupante. Vendredi, 21 personnes ont été arrêtées pour rassemblement illégal et promotion des droits LGBTI au Ghana. ICJ condamne ces arrestations et demande au Ghana de se conformer à ses obligations légales. #ReleaseThe21 ]
Quatre organisations soutenant les droits LGBTQI+ au Ghana ont aidé à créer une page GoFundMe pour réunir l’argent nécessaire à la libération des militants.
Des groupes conservateurs au Sénégal ont organisé un rassemblement au cours duquel les participants ont demandé la criminalisation de l’homosexualité. Ousmane Kouta, l’un des étudiants manifestants, a déclaré que le Sénégal « est homophobe et le restera pour toujours », un sentiment partagé par de nombreux conservateurs à travers le continent.
Le prix du pétrole : arrestation arbitraire d’un militant ougandais
La journaliste italienne Federica Marsi a été arrêtée avec le défenseur des droits humains ougandais Maxwell Atuhura par le commissaire de district résident et le commandant de la police du district (DPC) de Buliisa, la région pétrolifère de l’Ouganda. Ils étaient sur le point de rencontrer des membres de la communauté locale pour discuter des impacts du projet pétrolier Tilenga de Total. Tous deux ont été interrogés et auraient été menacés par la police. Federica Marsi a été libérée quelques heures plus tard, mais Maxwell Atuhura est resté en détention pendant deux jours avant d’être libéré.
L’association Les amis de la terre France précise : « Comme beaucoup d’autres défenseurs des droits humains qui dénoncent les problèmes liés au pétrole, Maxwell a fait l’objet de menaces et d’intimidations répétées. Ces dernières semaines, il a reçu un grand nombre d’appels téléphoniques anonymes menaçants, et son domicile dans la région ainsi que le domicile de sa famille dans la capitale, à plusieurs centaines de kilomètres, ont été cambriolés.
Les leaders africains de la liberté de la presse reculent
Les amendements proposés par le gouvernement de Maurice à sa loi sur les TIC et l’interrogatoire par le Ghana des reporters de Citi TV pourraient ébranler leur bilan en matière de droits médiatiques et les faire reculer dans le Classement mondial de la liberté de la presse de RSF. Positionné respectivement à la 30ème et 61ème places actuellement, le Ghana et Maurice sont deux des pays africains les plus performants en termes de liberté d’expression.
En 2018, le Ghana avait été classé n°1 en Afrique dans le classement mondial de la liberté de la presse de RSF – la même année où Accra a accueilli la Conférence de la Journée mondiale de la liberté de la presse. Cette distinction a ensuite été renforcée par l’adoption de la loi sur le droit à l’information en 2019. Cependant, comme l’a rapporté la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA), membre de l’IFEX, la manière dont le journaliste de télévision Caleb Kudah a été arrêté, ainsi que le raid contre les locaux de Citi TV par des agents de sécurité armés lors d’une tentative d’arrestation de la journaliste Zoe Abu-Baidoo, sont préoccupants.
Si les amendements proposés à la loi mauricienne sur les TIC sont adoptés par le Parlement, l’île paradisiaque pourrait se transformer en un État policier. Dans son analyse, Christina Meetoo, maître de conférences en sciences des médias et de la communication à l’Université de Maurice, souligne que les amendements proposés, peu précis, pourraient constituer une violation de l’article 12 de la constitution mauricienne, qui garantit la liberté d’expression.
Après analyse des modifications proposées, MISA-Zimbabwe a également fait des soumissions au ministère mauricien des Technologies de l’information, de la communication et de l’innovation et à l’ICTA, axées sur la création d’espaces en ligne sécurisés « tout en protégeant les droits numériques, plus précisément la liberté d’expression, l’accès à l’information et le droit à la vie privée ».
En bref
Le 1er mai, les journalistes zambiens Francis Mwiinga Maingaila et Nancy Malwele ont été agressés lors d’affrontements entre deux factions du Front patriotique au pouvoir, au siège du parti. Maingaila a perdu son appareil photo, son portefeuille et son téléphone. Le président zambien Edgar Lungu a condamné l’incident dans son message de la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Le journaliste ghanéen Peter Tabiri a été agressé par des agents de la sécurité nationale ghanéenne qui ont effectué une descente dans un casino présumé illégal dans le quartier populaire d’Asankragua. Alors que Tabiri tentait de vérifier si ce raid avait été mené de manière légitime, il a été agressé par les policiers et son téléphone a été brisé. Il a été sauvé de nouvelles agressions par le commandant de division, avec qui il avait communiqué pendant le raid.
Quelques jours seulement avant la WPFD, les journalistes ougandais Amon Kayanja et Teddy Nakaliga ont été fouettés par des soldats et leur équipement a été détruit alors qu’ils couvraient une manifestation dans la ville de Kuyanga au sujet d’une panne d’électricité durant depuis deux semaines.
Initialement détenu pour avoir prétendument manqué une audience pénale pour diffamation – dont son avocat dit qu’il n’était pas informé – le rédacteur en chef angolais Francisco Rasgado a été acquitté des accusations de calomnie et de diffamation.
Nouveau et intéressant
Open Society Initiative for Southern Africa a lancé #NumbersAsFaces, une campagne créative qui va au-delà des statistiques de la #COVID19 et propose une collection de témoignages d’Africain de l’Afrique australe confrontés à la pandémie. Les histoires de joie, d’espoir, de détresse, de douleur et d’amour sont disponibles sur un large éventail de plateformes et de formats.
Journaliste chevronnée et défenseure de la liberté de la presse, Gwen Lister a publié ses mémoires, intitulés Comrade Editor. Première femme fondatrice et rédactrice en chef de The Namibian, Gwen Lister est surtout connue pour ses reportages rigoureux qui ont exposé les atrocités systématiques de l’apartheid en Afrique du Sud depuis son pays d’adoption, la Namibie. Elle écrit sur le rôle de The Namibian dans l’indépendance du pays et pourquoi elle a choisi de combattre le système d’apartheid sud-africain depuis la Namibie plutôt qu’en Afrique du Sud.
[Traduction : Les mémoires de la journaliste Gwen Lister, dans lesquels elle raconte sa vie, son parcours dans le journalisme et son expérience avant et après l’indépendance de la Namibie, ont été publiés. https://buff.ly/2TELZxl ]
Le Sénat nigérian a proposé une initiative plutôt étrange : une loi visant à imposer des peines de 15 ans de prison aux citoyens qui paient des demandes de rançon. La loi modifiée sur la prévention du terrorisme de 2021 est apparemment destinée à répondre à une vague d’enlèvements au cours des 18 derniers mois qui risquent d’être considérés comme une « activité lucrative à enrichissement rapide ». Okechukwu Nnodim est l’un des nombreux journalistes qui ont été kidnappés cette année et relâchés au bout de quelques jours. Amra Ahmed Diska a été enlevée à son domicile par des hommes armés dans l’État d’Adamawa, détenue pendant une semaine et libérée seulement après le paiement d’une rançon.
Le 8 juin, Unwanted Witness a lancé #ChasedAwayAndLeftToDie, un rapport complet sur l’exclusion des citoyens du système national d’identification numérique de l’Ouganda et son impact sur les personnes rejetées du processus.