Un tour d’horizon des principales informations sur la libre expression en Afrique, basé sur les rapports des membres de l'IFEX.
Utiliser le pouvoir du podium pour formuler une politique nationale
Piétiner les libertés et les droits des Tanzaniens n’est pas nouveau. Ce qui est préoccupant, ce sont les annonces impulsives et régressives faites et les mesures prises qui ont un impact direct et négatif sur les droits des femmes.
Reprenant ce qui semble être un signal du président John Magufuli, le président du parlement tanzanien a décrété « l’interdiction à tous les députés, avec de faux cils et de faux ongles, de siéger au Parlement ».
La discussion au Parlement a commencé avec la vice-ministre de la Santé, Dr Faustine Ndugulile, qui expliquait comment les soins de santé en Tanzanie pourraient devenir de plus en plus couteux pour les femmes confrontées à des problèmes de santé liés au port de perruques et d’ongles artificiels. Elle a été conclue par le Président du Parlement, Job Ndugai, qui a annoncé disant: « En vertu des pouvoirs me conférés par la Constitution de la République unie de Tanzanie, j’interdis désormais à tous les députés, avec de faux cils et de faux ongles, d’accéder au Parlement ». Il a ajouté qu’il déciderait également d’interdire ou non aux députés trop maquillés d’entrer dans le bâtiment.
Juste la veille de l’annonce de cette interdiction, le président Magufuli a informé les citoyens participant à un rassemblement qu’il n’était pas nécessaire de recourir à un contrôle des naissances et que « les étrangers qui en font la promotion donnent de mauvais conseils ». A un autre rassemblement en 2017, il avait déclaré qu’aussi longtemps qu’il était président, aucune élève enceinte ne serait autorisée à retourner aux études ni à être réadmise après avoir accouché.
Malgré les critiques et les réactions négatives des militants sur ces questions et sur bien d’autres, le président Magufuli continue de réprimer sévèrement les droits démocratiques. Ce qui est inquiétant, c’est son appétit insatiable d’utiliser son podium pour faire des déclarations impétueuses qui deviennent une politique nationale.
Une récompense au Bénin pour la manifestation de jeunes militants contre la taxe sur les réseaux sociaux
Les réponses à une campagne en ligne qui a été déplacée hors ligne – #TaxePasMesMo – ont obligé le gouvernement béninois à supprimer la taxe qu’il avait imposée aux citoyens accédant aux plateformes de médias sociaux.
Le gouvernement prévoyait de facturer aux internautes 5 francs CFA (0,008 USD) par mégaoctet pour l’accès à Facebook, WhatsApp et Twitter, ainsi que des frais de 5%, en plus des taxes, sur les SMS et les appels.
Des jeunes militants ont créé une pétition en ligne contre la taxe et ont également exprimé leurs frustrations sur des plateformes telles que Twitter, Facebook et WhatsApp pour se plaindre de la taxe et demander sa suppression. La portée de cet activisme en ligne s’étendait au-delà des frontières comme la pétition était signée par des consommateurs de Tanzanie et d’Ouganda.
Les militants ont étendu cette manifestation aux actions hors ligne, organisant des occupations pacifiques d’espace lors de manifestations du 21 septembre marquant la Journée internationale de la paix. Mail and Guardian a rapporté que le lendemain, « le président du Bénin a convoqué une réunion avec les fournisseurs de services et les ministres concernés. Après la réunion, un communiqué a été publié appelant à l’annulation de ces taxes ».
Mylène Flicka, une militante béninoise, a déclaré: « Nous sommes très heureux d’avoir été entendus, mais cette victoire est avant tout une preuve de la force des médias sociaux et du pouvoir d’une jeunesse mobilisée. Nous restons vigilants et nous ne baisserons jamais plus la garde sur nos libertés ».
Cette tendance croissante sur le continent africain de limiter les droits numériques des citoyens en sanctionnant les politiques introduisant des redevances pour l’accès aux plateformes Internet et numériques a été lancée par la Tanzanie. Parmi les autres dispositions litigieuses, la Tanzanie exige que les blogueurs soient agréés et paient des frais exorbitants pour publier du contenu en ligne.
L’Ouganda a emboîté le pas et a imposé des frais quotidiens de 200 shillings (0,05 USD) pour accéder aux plateformes de médias sociaux ainsi qu’aux applications Internet de messagerie et de voix, tandis que le Kenya a imposé une taxe supplémentaire sur Internet. L’Ouganda et, plus récemment, le Zimbabwe taxent les transactions d’argent par téléphone portable, le Kenya propose une taxe similaire sur les transferts d’argent par téléphone mobile et les télécommunications. La Zambie a approuvé une taxe sur les appels Internet.
Les femmes journalistes camerounaises lancent #StopSexualHarassment237
Alors que le harcèlement sexuel est un problème mondial omniprésent et que le secteur des médias ne fait pas exception, le sujet reste controversé. Les auteurs d’infractions sexuelles sont souvent les gardiens des médias, disposant d’un pouvoir difficile à contester. La campagne #MeToo lancée aux États-Unis incite davantage les femmes à prendre la parole et à entreprendre des actions décisives.
La journaliste britannique Hannah Storm, qui travaillait pour le Poynter Institute, l’a bien capturé dans son compte des histoires trop familières de ce à quoi les femmes dans les médias doivent faire face. Elle raconte courageusement son histoire personnelle des sifflets de loups, l’effort pour essayer de s’intégrer aux gars, le tâtonnement ou les relations avec le mentor plus intéressé par les faveurs sexuelles que par le coaching et l’encouragement.
Perturbée par la multiplication de comportements similaires, la célèbre journaliste camerounaise Comfort Mussa a décidé d’utiliser son influence pour déclencher une action dans son pays. Dans un message posté sur sa page Facebook, Mussa a demandé aux femmes journalistes: « Qui est partante? » pour faire équipe pour combattre le harcèlement sexuel trop rependu dans les médias. Une réponse rapide et accablante a conduit au lancement réussi d’une campagne multimédia dénommée #StopSexualHarassment237. (Le code pays du Cameroun est le 237)
Conformément à une planification stratégique adoptée en août, le groupe a organisé une discussion en ligne sur Twitter afin de mobiliser autour de cette initiative – la version camerounaise du mouvement mondial #MeToo. À ce jour, une série de courtes vidéos avec des femmes journalistes sortant du silence à propos du harcèlement sexuel a été affichée sur les plateformes de médias sociaux et une lettre a été envoyée aux institutions d’éducation, aux formateurs, aux associations de presse et aux gestionnaires des médias pour les sensibiliser et encourager la collaboration.
L’initiative a attiré l’attention, avec certains chefs masculins ayant banalisé la question et « accusé les femmes de s’être vêtus de façon provocante et d’avoir une attitude de séduction », et d’autres collègues masculins soutenant les femmes dans les émissions de radio et promettant leur engagement de reformer leurs organisations médiatiques.
Acclamé, interdit, autorisé et interdit à nouveau
Voulant s’éloigner du récit habituel d’une Afrique faite « de guerres, de pauvreté et des ravages », la réalisatrice kenyane Wanuri Kahiu a plutôt choisi de se concentrer sur une histoire d’amour nuancée entre deux femmes. Rafiki est basé sur le roman primé de 2007 « Jambula Tree » écrit par l’écrivain ougandaise Monica Arac de Nyeko. Quand il a été acclamé pour être la première entrée du Kenya au Festival du fil de Cannes, le responsable du KFCB (Comité de classification du film du Kenya), Ezekiel Mutua, a fièrement salué la réalisatrice Kahiu comme l’une des icônes du cinéma dans le pays. Quelques jours plus tard, le KFCB a interdit le film, au motif qu’il promouvait l’homosexualité et qu’il contenait « des scènes homosexuelles contraires à la loi, à la culture et aux valeurs morales du peuple kényan ».
Après une campagne locale et mondiale, l’interdiction a été levée par la juge à la Haute cour Wilfrida Okwany qui a déclaré qu’elle n’était « pas convaincue que le Kenya est une société tellement fragile que son fondement moral sera ébranlé par la projection d’un tel film ». Défiant les stéréotypes au pays et à l’étranger, le film a été présenté à un public nombreux à Nairobi pendant la courte période au cours de laquelle l’interdiction a été levée.
Victoire momentanée des droits des LGBTQI + au Kenya, cette interdiction temporaire a permis à Kahiu de le soumettre pour une nomination à un Oscar. Les règles de nomination pour le dépôt des candidatures exigent qu’un film étranger soit présenté dans son pays d’origine.
Codes pénaux: une législation archaïque pour continuer de contrôler les médias
Une bataille judiciaire de trois ans s’est finalement terminée lorsque les accusations de sédition portées contre Outsa Mokone, rédacteur en chef du Sunday Standard du Botswana, ont finalement été abandonnées.
Mokone, qui a été arrêté et détenu en septembre 2014, a été la première personne dans le pays à être accusée de « publication d’une publication séditieuse en violation de l’article 51 (1) c), telle que lue avec l’article 50 (1) a) du Code pénal ; lu avec l’article 332 (1) de la Loi sur la procédure pénale et les preuves ». Les articles en question punissent toute « intention de pousser à la haine ou au mépris ; ou encore d’inciter à la désaffection de la personne du président ou du gouvernement du Botswana. »
Les accusations découlaient d’un article alléguant que l’ancien président Ian Khama avait tenté de dissimuler un accident. L’auteur de l’article original, Edgar Tsimane, a demandé l’asile en Afrique du Sud après avoir été informé qu’il était recherché par la direction du renseignement et des services de sécurité (DISS), l’agence de renseignement réputée du pays.
A l’époque, Mokone pensait que le raid sur ses bureaux et son arrestation étaient plus liés à des articles précédents que son journal avait publiés il y a quelque temps, sur des allégations de corruption dans la DISS impliquant le président.
Dans un pays considéré comme un modèle de démocratie, le cas de Mokone souligne que la diffamation pénale est toujours d’actualité, sous la forme de lois obsolètes de sédition. Bien que rarement utilisés, leur existence continue dans de nombreux pays d’Afrique est un outil utilisé par les dirigeants zélés pour étouffer les médias et de les contrôler.
Un rapport analytique de PEN sur l’impact des lois pénales sur la diffamation en Afrique, mettant en lumière les voix et les expériences des écrivains à travers le continent, montre clairement « que les autorités étatiques invoquent le plus souvent des lois sur la diffamation pénale non pas pour défendre les droits des citoyens ordinaires, mais pour protéger ceux qui détiennent le plus grand pouvoir.»
« Le prix de ces lois est considérable – elles étouffent l’indépendance des commentaires et des débats politiques, dénient au public le droit de connaître des histoires d’importance nationale et décourager le journalisme d’investigation. Ces lois sont incompatibles avec la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.»
En bref
Au Ghana, des agresseurs prétendument recrutés par l’homme politique Hassan Ayariga ont attaqué un reporter chevronné de l’Agence de presse ghanéenne (GNA) à Bawku, dans l’extrême est du pays.
En Afrique du Sud, le Forum des rédacteurs sud-africains s’est inquiété des propos tenus par un enquêteur privé, Paul O’Sullivan, contre le journaliste du Sunday Times, Poloko Tau. Tau a envoyé des questions à O’Sullivan en privé et l’enquêteur a répondu en menaçant publiquement le journaliste, l’insultant et l’intimidant.
Renouveau FM, une radio privée à Bamako au Mali, a été brièvement suspendue. Selon son directeur, Sidi Mohamed Dicko, le gouverneur de Bamako a accusé l’animateur d’une émission d’actualités populaire d’actes présumés d’incitation à la haine et à la révolte. La radio a repris ses programmes 11 jours plus tard, après que l’instance de régulation des médias, la Haute autorité de la communication (HAC) du Mali, ait annulé la suspension de la radio décidée par le gouverneur, mais a ordonné l’annulation de l’émission.
En Ouganda, la police a arrêté des journalistes qui couvraient le retour des Etats-Unis du député d’opposition Robert Kyagulanyi, alias Bobi Wine. Six des journalistes ont été arrêtés et détenus à l’Aéroport international d’Entebbe pendant plusieurs heures et leurs équipements ont été confisqués. Plus tôt dans le mois, Wine avait été arrêté, torturé, arrêté de nouveau et empêché de quitter le pays pour se faire soigner.