Tour d'horizon des principales nouvelles de la liberté d'expression en Afrique au mois de décembre. Réalisé d'après les rapports des membres de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
La Gambie attaque le Myanmar devant les tribunaux
En novembre 2019, la Gambie a déposé une plainte contre le Myanmar devant la Cour internationale de justice (CIJ), avec le soutien de 57 membres de l’Organisation de Coopération Islamique. La plainte déposée devant la CIJ allègue que les atrocités commises par le Myanmar contre les Rohingyas dans l’État de Rakhine violent diverses dispositions de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (« la Convention sur le génocide »).
La plainte pour génocide déposée contre Myanmar est la première du genre – où la plainte est déposée par un pays qui n’est pas directement touché par les crimes présumés. La petite Gambie est critiquée dans certains milieux pour avoir dépassé son poids sur la scène internationale. Cependant, le 10 décembre, premier jour de la procédure, les habitants de la ville portuaire de Cox’s Bazaar au Bangladesh se sont rassemblés sur une colline près des réfugiés scandant Gambie, Gambie.
Réfugiés rohingyas scandent « Gambie, Gambie » aujourd’hui dans les camps de Cox’s Bazar en prévision du premier jour de l’audience de la CIJ sur les mesures conservatoires. @MSawyedullah
La procédure n’aurait probablement pas été engagée si le ministre des Affaires étrangères de la Gambie n’avait pas été dans l’obligation de se retirer de la conférence annuelle de l’OCI au Bangladesh à la dernière minute. C’était lors d’une visite du camp de réfugiés de Cox’s Bazaar que le ministre de la Justice Abubacarr Tambadou, qui avait été envoyé en remplacement, s’est souvenu de son temps avec des poursuites dans les affaires du génocide rwandais de 1994:
Question hypothétique de savoir si le Myanmar se conformera à des mesures conservatoires – le fait qu’Aung San Suu Kyi a choisi d’être présente au tribunal suggère qu’elle reconnaît l’importance des procédures #CIJ
Ministre gambien de la justice Abubacarr Tambadou interviewé hier soir. Son expérience de la couverture du génocide rwandais & de la visite des réfugiés rohingyas au Bangladesh, où « l’odeur du génocide dans l’air » est à l’origine de cette affaire #CIJ
Dans sa contribution à Forbes, Ewelina U. Ochab a exprimé l’espoir que « les actions entreprises par la Gambie devraient encourager d’autres États à mettre à profit l’utilisation des mécanismes des Nations Unies existants ».
Le 27 décembre, soit deux semaines plus tard, l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) a approuvé une résolution condamnant fermement les violations des droits humains, notamment les arrestations arbitraires, la torture, les viols et les décès en détention, commises contre les Rohingyas du Myanmar et d’autres minorités.
L’organe de 193 membres a voté à 134 voix contre 9 (avec 28 abstentions) en faveur de la résolution, qui appelle également le gouvernement du Myanmar à prendre d’urgence des mesures pour lutter contre l’incitation à la haine contre les Rohingyas et d’autres minorités dans les États de Rakhine, Kachin et Shan. Le Zimbabwe était le seul pays africain à avoir voté contre la résolution.
Le mouvement d’expression des cheveux se développe
La prise de conscience mondiale croissante autour de la beauté des cheveux noirs naturels a été ramenée au-devant de la scène après le couronnement de la sudafricaine Zozibini Tunzi en tant que Miss Univers. Tunzi est allé à contre-courant en refusant de porter une perruque ou un tissage.
La question du naturel par rapport à tout le reste (tresses, tissages, lissage, extensions) a fait l’objet de nombreux débats sur les plateformes de médias sociaux, notamment Facebook, Twitter et Instagram. Sho Madjozi, [du fameux Jon Cena] a des tresses colorées que les jeunes filles du monde entier imitent. La question de la « coiffure » se déplace au premier plan des questions d’identité et des notions de ce qui est généralement considéré comme beau. C’est ce même débat autour de l’expression de soi, de la beauté et de l’identité qui a incité la sud-africaine Nikiwe Dlova à lancer sa plateforme Hair Street Culture.
La blogueuse et influenceuse Nikiwe Dlova est passionnée par les cheveux. Dlova a lancé une plateforme Hair Street Culture, qui met en valeur la liberté d’expression des cheveux chez les individus.@SallyBurdettSA sur #Sunday Courtesy #DStv403
Dlova invite les femmes dans un espace où elle les encourage à s’exprimer elles-mêmes au travers de leurs coiffures.
« Chauve, détendu, naturel, dreadlocks (rasta), styles de protection et tout le reste, les cheveux africains peuvent se transformer en tout ce que vous voulez, ce qui en fait non seulement une forme d’expression et de style, mais aussi une œuvre d’art en mouvement. »
Bienvenue dans la République des abus sexuels
En dépeignant la réalité d’une femme tuée toutes les quatre heures, les militants locaux du People Opposing Women Abuse (POWA) ont inventé un pays fictif comme pièce maîtresse d’une exposition visant à sensibiliser à propos des niveaux élevés de violence sexiste en Afrique du Sud. Dans le cadre des 16 jours de campagne de sensibilisation, la République des abus sexuels, dotée de sa propre monnaie, ses passeports et une carte tachée de sang, oblige les spectateurs à regarder attentivement la misogynie, le sexisme et le patriarcat. Les organisateurs recherchent des sponsors pour les aider à faire le tour du pays avec cette exposition.
Les sons traditionnels des Samburu Masai se mondialisent
Trois DJ de divers styles de music basés à Nairobi – Foozak, Suraj et Dylan-S – se sont rendus loin dans la vallée du Rift au Kenya jusqu’à Samburu et ont enregistré les chants et chansons traditionnels des femmes, des guerriers, des anciens et des enfants de la communauté. Enregistrés sous la forme la plus naturelle, les échantillons sonores des communautés ont été partagés à travers le monde via un réseau de producteurs que les gens pouvaient utiliser pour créer leur propre musique.
Un album et un documentaire ont été produits dans le cadre de cette initiative, dont les bénéfices seront reversés à la communauté. L’objectif principal du projet est « d’archiver les sons traditionnels du peuple Masaï et de trouver un moyen de créer une source de revenu durable ». Un moment spécial pour l’un des DJs a été de rejouer les enregistrements pour la communauté – c’était la première fois qu’ils entendaient leurs voix lors de ce playback ou bénéficiaient directement de tels enregistrements.
L’étouffement de l’espace civique tanzanien
Le déclin constant de la Tanzanie dans le piège de la répression se poursuit avec l’arrestation de l’activiste des droits humains Tito Magoti, un avocat du Centre juridique et des droits humains, et de Theodory Giyan, un expert en informatique travaillant avec lui, quelques jours seulement avant les vacances de Noël.
Magoti a été porté disparu le 20 décembre lorsqu’un témoin a vu des hommes l’emmener dans une voiture. Giyan avait disparu la veille. Après un tollé sur les réseaux sociaux par des membres de la famille et le public, la police a confirmé que Magoti était entre leurs mains et qu’il avait été interpellé par des policiers en civil, mais pas enlevé. La police lui a privé toute visite de sa famille et a refusé d’indiquer où il était détenu.
Les deux hommes ont été formellement inculpés d’avoir dirigé un racket perpétré par le crime organisé, d’être en possession d’un programme informatique susceptible d’être utilisé pour commettre une infraction et pour blanchir de l’argent. Les deux arrestations font penser à celle, en août 2019, d’Eric Kabendera, également inculpé de blanchiment d’argent et de crime organisé, en plus de charges de sédition et d’évasion fiscale.
Prisonniers politiques #Tanzanie:
– enlevé par des personnes non identifiées
– détenu au secret pendant des jours
– traduit en justice pour blanchiment d’argent (pas de caution)
– le procès n’a pas commencé – enquête incomplète #FreeTitoMagoti #FreeErickKabendera #FreeTheo #ChangeTanzania
Kabendera a également enduré une semaine de détention sans inculpation formelle après avoir été enlevé par des agents en civil. L’accès à sa famille et à son avocat était restreint. Quatre mois plus tard, il est toujours derrière les barreaux et son procès a été reporté plus de huit fois. Ses appels à faire examiner sa mise en liberté sous caution, en raison de sa santé défaillante, ont été rejetés.
Il était de retour au tribunal juste après le jour de l’an pour répondre des accusations de blanchiment d’argent. Sa mère, qui plaidait pour sa libération, est décédée la veille du Nouvel An avec son fils toujours en prison. Son cas a été ajourné 8 fois car « les enquêtes ne sont pas terminées ».
Une évolution positive tout de même, le commentateur politique tanzanien Bollen Ngetti a été retrouvé un jour après son interpellation. Le critique dit qu’il a été enlevé et, avant d’être libéré, il a été interrogé sur ses liens avec l’ancien ministre des Affaires intérieures.
Des témoins anonymes au Nigéria
Alors qu’une attention considérable a été accordée à la libération du militant politique Omoyele Sowore, peu de cas est accordé à la manière d’agir inquiétante des procureurs nigérians et à leur exécution de la justice dans deux affaires majeures contre des journalistes.
Agba Jalingo, l’éditeur du site d’actualités en ligne Cross River Watch, en prison depuis août de l’année dernière, est accusé de terrorisme and trahison. C’était après avoir posté une publication sur Facebook accusant le gouverneur de l’Etat de Cross River, Benedict Ayade, d’avoir abusé de son pouvoir pour siphonner de l’argent destiné à des prêts pour des gens à faible revenus. Les graves accusations portées contre Jalingo et Jones Abiri, à Abuja, permettent aux autorités de les détenir pendant de longues périodes. Les accusations mises à charge des deux journalistes sont passibles de lourdes peines, ce qui rend difficile leur libération sous caution.
Les procureurs d’État du Nigéria insistent pour faire témoigner des témoins secrets dans ces affaires judiciaires entendues dans deux endroits différents du Nigéria. Il n’est pas clair comment ce processus se déroulera, car il est entendu que les témoins feront leurs dépositions cachés derrière un voile et que leurs identités ne seront pas révélées à la défense. Les journalistes et le public ne seront pas admis dans la salle d’audience pendant les dépositions de ces témoins anonymes.
MTN et Vodacom: des tarifs plus bas ou une sanction légale
Le 2 décembre 2019, les géants sud-africains des télécommunications Vodacom et MTN ont reçu un ultimatum de la Commission de la concurrence de l’Afrique du Sud pour réduire leurs prix des données de 30 à 50% en deux mois. A défaut, ils s’exposent à des sanctions légales. La commission a également recommandé une allocation quotidienne gratuite de données et la création de sites détaxés, parmi une série de modifications proposées.
C’était une bonne nouvelle pour les Sud-Africains, qui se sont déversés sur Twitter pour célébrer l’annonce, et une grande victoire pour le mouvement en ligne #DataMustFall, qui depuis des années utilise ce hashtag pour demander aux fournisseurs des données moins chères.
Dans son report sur le marché des données, la Commission de la concurrence a souligné que la baisse des prix garantirait à un plus grand nombre de personnes, en particulier aux personnes à faible revenu, d’avoir accès à l’information et de bénéficier des avantages économiques d’un Internet bon marché. La Commission a accusé les deux sociétés de téléphonie mobile, qui détiennent une part de marché mobile commune de 70%, de facturer des tarifs anti-pauvres pour les données – même des tarifs plus élevés que leurs sociétés sœurs régionales pour 500 Mo de données.
Des données gratuites pour tous les Sud-Africains dans une intervention radicale du régulateur
… Il ne s’agit pas d’Internet de base universel mais d’une décision impressionnante de la commission sud-africaine de la concurrence.
MTN a publié une déclaration disant qu’avec tout le respect, ils étaient en désaccord avec les recommandations de la Commission et s’engageaient à résister à la baisse « intrusive ». Vodacom s’est également opposée au rapport, soulignant qu’il minimisait l’impact de la réduction du spectre sur le coût des données. La Commission a exhorté les opérateurs à négocier avec l’organisme d’État à propos de ses recommandations.
Le gouvernement sud-africain engage également les opérateurs de téléphonie mobile sur la question.
En bref
La réduction de l’espace civique, les attaques contre les journalistes par des acteurs étatiques et non étatiques, les arrestations arbitraires et motivées par des considérations politiques et le non-respect de l’État de droit ont incité Media Rights Agenda (MRA) à appeler le gouvernement nigérian à prendre des mesures. Leur demande est soutenue par les conclusions d’un rapport publié par MRA fin décembre, intitulé « Une profession en danger. Un rapport analytique sur la sécurité des journalistes au Nigéria ». MRA estime que le gouvernement nigérian devrait « adopter et appliquer des politiques et des lois instituant des mesures préventives visant à éliminer ou à réduire les attaques contre les journalistes et à garantir des poursuites ordinaires mais diligentes contre les auteurs des attaques contre des journalistes. »
Dans une évaluation de leur travail en 2019, la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) a souligné ses efforts dans les domaines de la violence contre les journalistes, le droit des citoyens à manifester, le rôle des médias dans la revendication de la reddition des comptes, les droits numériques et l’autonomisation des citoyens à participer activement à la gouvernance.
Dans leur commémoration de la Journée internationale des personnes handicapées (IDPD) 2019, la Collaboration of International ICT Policy for East and Southern Africa (CIPESA) a mis au défi le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda de respecter leurs engagements. La CIPESA a rappelé aux trois pays leurs obligations d’assurer l’accessibilité numérique aux personnes handicapées et ayant des difficultés.
La Haute Cour d’Accra a accordé à la journaliste ghanéen Ohemaa Sakyiwaa d’Adom FM la somme de 1 600 $US en compensation des actes d’Hajia Fati, un partisan du parti au pouvoir, le New Patriotic Party (NPP). Sakyiwaa avait été agressée par Fati alors qu’elle couvrait un événement au siège du NPP.
Au Bénin, le journaliste d’investigation Ignace Sossou a été condamné à 18 mois de prison après avoir été reconnu coupable de harcèlement par voie électronique. Sossou avait été arrêté le 20 décembre pour diffamation et désinformation pour sa publication sur Facebook, qui citait le procureur béninois Mario Mètonou décrivant le code numérique du Bénin comme « une arme » pouvant être utilisée contre des journalistes.
Toujours au Bénin, le 18 décembre, d’ordre de la Haute Autorité de l’audiovisuel et des communications (HAAC), une station de radio populaire, Soleil FM, a reçu injonction de cesser ses diffusions. La directive du HAAC a notifié à la station que « sa licence avait expiré parce que la demande de renouvellement n’avait pas été acceptée » – même si elle avait été soumise à temps.
Une université de Toronto a lancé une base de données qui documente les meurtres et autres atrocités perpétrés pendant la crise anglophone au Cameroun. Les informations reçues sont d’abord vérifiées, puis rassemblées, sécurisées et publiées. Le matériel rassemblé des atrocités commises par les actions militaires et non étatiques camerounaises sera disponible pour la recherche et également pour les processus de justice internationale.
Le militant sud-africain des droits numériques Murray Hunter a lancé Boris the Baby Bot, le tout premier livre pour enfants au monde sur les données et la surveillance numérique. Le Mail and Guardian le décrit comme « une petite histoire sur les mégadonnées – et Boris, un bébé surveillant les tentatives d’un robot pour suivre les mouvements des bébés dans un monde moderne ».