Un tour d’horizon des principales informations sur la libre expression en Afrique, basé sur les rapports des membres de l'IFEX.
Le mois de février a été un mois de hauts et de bas émotionnels – avec l’Ethiopie en tête d’affiche. Le tour des montagnes russes émotionnelles a commencé avec la libération de plus de 700 prisonniers et celle éventuelle des journalistes Eskinder Nega et Woubshet Taye. Dans ce spectacle considérable de sursis, des accusations ont été abandonnées contre trois des quatre blogueurs de la Zone 9. Les événements ont pris une tournure dramatique avec la démission du Premier ministre et ont culminé avec l’annonce de l’état d’urgence.
La joie à l’annonce de voir Nega et Taye bénéficier d’une amnistie ensemble avec les autres prisonniers a rapidement tourné en déception lorsque les autorités ont fait marche arrière en ce qui concerne la libération du journaliste Eskinder Nega parce qu’il a refusé de signer une fausse confession disant qu’il était un terroriste. Les pressions croissantes ont poussé les autorités à libérer Nega et Woubshet Taye le jour de la Saint-Valentin.
Blogueur et journaliste de renom, Nega avait été arrêté en 2011 et inculpé en vertu de la tristement célèbre Proclamation antiterroriste (ATP) du pays. En 2012, il a été condamné à 18 ans de prison pour des allégations de terrorisme et d’incitation à la violence. Quant à Taye, rédacteur en chef adjoint du défunt Awramba Times, avait également été arrêté en 2011 et condamné à 14 ans de prison en vertu de l’ATP.
Le jour même de leur libération, le Premier ministre éthiopien, Haile Mariam Desalegn, a présenté sa lettre de démission au Parlement, faisant allusion aux troubles civils continus et à la crise politique dans le pays qui, selon lui, ne pouvaient être résolus que par des réformes. Quelques jours plus tard, le Conseil des ministres éthiopien a instauré l’état d’urgence qui a été endossé par le Parlement à la fin du mois de février.
Des accusations d’incitation à la violence ont été abandonnées contre deux des blogueurs de la Zone 9, Befekadu Haile et Natnael Felke, tandis que des accusations contre Atnafu Berhane ont été maintenues, sous prétexte d’une erreur judiciaire.
Le cas des blogueurs de la Zone 9 remonte à 2014 lorsque six membres du réseau ont été arrêtés. Dans une bataille compliquée et longue d’un an, cinq d’entre eux ont été libérés et toutes les accusations ont été abandonnées. Au cours d’une procédure d’appel, la Cour suprême éthiopienne a statué que deux blogueurs du collectif Zone 9, Feleke et Berhane, précédemment acquittés des accusations de terrorisme, devraient plutôt être jugés pour incitation à la violence par leurs écrits.
Un autre cadeau significatif de la Saint-Valentin a été le jugement historique rendu par la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). La Cour a statué que l’arrestation et la détention de quatre journalistes Gambiens constituaient des violations de leurs droits à la liberté d’expression, à la liberté tout court et à la liberté de circulation.
Le cas des quatre journalistes qui continuent à vivre en exil – Fatou Camara, Fataou Jaw Manneh, Alhagie Jobe et Lamin Fatty – a été porté devant la Cour de justice de la CEDEAO par la Fédération des journalistes africains.
La Cour de la CEDEAO a considéré que la « racine » des réclamations portées devant elle se trouve être les lois pénales gambiennes sur la diffamation, la sédition et les fausses nouvelles. Par conséquent, la Cour a exigé l’abrogation ou la modification immédiate de la législation qui a un impact négatif sur la liberté des médias.
L’Ouganda a connu un drame indésirable avec l’enlèvement du journaliste Charles Etukuri par des hommes en camouflage de l’armée alors qu’il quittait les bureaux de New Vision où il travaillait. Il a été libéré quelques jours après que le Parlement eut demandé des explications au ministère de l’Intérieur quant à l’endroit où était le journaliste. Quelques jours plus tard, l’animateur d’une émission de radio politique, Richard Kasule alias Kamagu, a été arrêté par la police pour « propos irresponsable » dans son émission populaire Simbula avant d’être libéré un jour plus tard.
Le 22 février, la section ougandaise du Réseau des droits humains pour les journalistes (HRNJ) a dénoncé l’agression, par un policier, du journaliste Nsimbi Posiano et l’interdiction pour d’autres journalistes de couvrir le procès de Muhammad Kirumira, l’ancien commandant de la police d’un district dans l’est de l’Ouganda. HRNJ-Ouganda a publié une déclaration exprimant sa préoccupation face aux attaques continues des médias par les agences de sécurité.
Juste de l’autre côté de la frontière, au Kenya, la Commission nationale des droits humains des gays et lesbiennes (NGLHRC), dirigée par l’avocat et fondateur Eric Gitari, a saisi la Haute Cour du Kenya d’un recours contre des articles du Code pénal. La NGLHRC, représentée par Paul Muite, a soutenu que des clauses spécifiques du Code enfreignent la Constitution et dénient des droits fondamentaux en pénalisant les relations homosexuelles consensuelles entre adultes.
Bien qu’il ne soit pas clair quand une décision sera prise, Gitari espère que l’affaire fera tâche d’huile, en affirmant dans un récent article de CNN que « le jugement va guider les pays à travers l’Afrique. Elle va encourager les activistes dans beaucoup de pays africains, elle va créer un effet d’entrainement ».
L’impact des politiques formulées sur les océans loin du continent africain a été vivement ressenti par l’infirmière Melvine Ouyo qui travaille à Kibera, le plus gros bidonville surpeuplé du Kenya. Elle a mis l’accent sur le Mémorandum présidentiel de Trump concernant la politique de Mexico en refusant de signer ce qui est plus communément appelé la règle du bâillon de Trump.
Dans son histoire intitulée « Je ne signerai pas la règle mondiale du bâillon de Trump, voici pourquoi », Ouyo explique comment la règle mondiale du bâillon sapera les avancées réalisées par les organisations qui travaillent pour soutenir les femmes et les jeunes filles qui choisissent de se faire avorter par nécessité. « Je suis une professionnelle de la santé. J’ai prêté serment pour sauver des vies. Je prodigue des soins complets. Permettre à un bailleur de fonds de dicter les services que je peux ou pas fournir serait une faute professionnelle. J’accepterais de l’argent pour me suicider effectivement au nom des jeunes filles et des femmes que je sers ».
Au Zimbabwe, la législation a pris un tournant capital lorsque le ministre de l’Information, de la Communication et de la Technologie a déclaré au Parlement que trois projets de loi sur les cybers seraient regroupés en un seul. Le ministre a déclaré que, suivant les directives du bureau du procureur général, le projet de loi sur la cybersécurité et la cybercriminalité comprendrait désormais le projet de loi sur la protection des données et le projet de loi sur les transactions électroniques et le commerce électronique. Il a justifié cette consolidation, en affirmant que les trois projets de loi – Protection des données, cybersécurité et transactions électroniques – empêcheraient diverses formes de cybercriminalité.
MISA-Zimbabwe fait valoir le contraire. « Regrouper les droits fondamentaux tels que le droit à la vie privée, l’accès à l’information avec les droits des consommateurs et la cybersécurité dans un seul texte pourrait nuire à la protection de ces droits ».
Frustré par de fréquentes coupures d’Internet, de nombreuses organisations militantes en RD Congo planifient une série d’actions contre les fournisseurs de services mobiles opérant dans le pays. Les organisations de la société civile estiment que les fournisseurs de services Internet ont des obligations envers leurs clients, mais au lieu de cela, ils sont en collusion avec l’Etat dans sa démarche d’interrompre les services Internet pour des raisons politiques.
Cela a été annoncé deux semaines à peine avant que les autorités ordonnent une coupure de 12 heures du service Internet dans le pays le 25 février, lorsque des manifestants sont descendus dans la rue pour protester contre le refus du président Joseph Kabila de quitter le pouvoir, en dépit du fait que son mandat ait pris fin.
A la fin du mois de février, il y a eu de nouvelles alarmantes sur la santé précaire de Ghys Fortuné Bemba, éditeur d’un journal, qui est en détention arbitraire à Brazzaville, en République du Congo. Reporters sans frontières (RSF) a renouvelé son appel à sa libération immédiate et tient les autorités responsables de son état de santé.
Selon une déclaration de RSF, « la santé de Bemba s’est détériorée dans sa cellule de la prison principale de Brazzaville au point qu’il a été conduit dans un état critique dans une unité de soins intensifs à la clinique Cogemo de Brazzaville le 22 janvier 2018. Alors qu’il n’a pas vraiment récupéré, il a été renvoyé de force en prison le 16 février en l’absence de son avocat et de son médecin ».
Une bonne nouvelle à l’approche de la commémoration de la Journée internationale de la femme le 8 mars a été l’annonce, par Internet sans frontières, de sa nomination de deux les femmes, Fatou Camara et Malian Fatouma Harber, deux blogueuses de haut niveau et défenseures de la liberté d’expression de la Gambie, pour le Prix mondial 2018 de la liberté de la presse Unesco / Guillermo Cano.